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sympathies et répond à son idéal. Sans doute même peut-on dire, et il semble qu’on ne fait pas jusqu’ici remarqué suffisamment, que Molière est, en un certain sens, féministe. Ne revendique-t-il pas la liberté de la femme en face de l’arbitraire du père et du mari, le droit pour elle de choisir un époux qu’elle aime, le droit même de tromper un mari mal assorti ? N’importe. Molière dénie à la femme le droit à une culture supérieure, et ceci pour une raison qui est celle de tous les adversaires de l’émancipation : la place de la femme est au foyer, et toute occupation intellectuelle la détourne de ses devoirs d’épouse et de mère.

Comme Molière, Boileau est pénétré du dogme de l’infériorité féminine et avec d’autant plus de force que son esprit janséniste le pousse à voir dans la femme l’origine du mal. Sa Satire 10, où il brandit le fouet de Juvenal, est la synthèse de toutes les satires qu’avant lui d’innombrables poètes ont lancées contre le sexe, la perfection du genre… Une misogynie plus farouche que comique l’anime et la femme lui apparaît comme l’être impulsif et inconstant des juristes romains, comme l’instrument de perdition flétri par les canonistes du moyen-âge en même temps que comme le sujet des infortunes et des tourments conjugaux, thème éternel de nos vaudevillistes.

Le mépris dans lequel les écrivains tiennent la femme, tout en l’adulant par ailleurs et en cherchant avant tout ses suffrages, n’est pas sans soulever de temps en temps une protestation…

Contre les jugements trop sévères de La Rochefoucauld, un certain nombre de ses lectrices s’inscrivent en faux.

À la Satire des Femmes, le satirique Pierre Henri, émule et zoïle de Boileau, répond par une Satire des Hommes qui en est l’exacte contre-partie, et une autre de ses pièces, Le Pour et le Contre du mariage, exalte les femmes vertueuses.

De plusieurs articles du dictionnaire de Bayle, ressort cette idée que le grand critique et compilateur ne s’incline pas toujours devant l’opinion commune. Il parle avec sympathie de quelques auteurs néerlandais : Voetius, Béverovic qui ont pris dans leurs ouvrages la défense du beau sexe, qui ont combattu la doctrine fameuse de saint Thomas, d’après laquelle la femme est une imperfection de la nature et prouve qu’elle n’est inférieure à l’homme, ni par les qualités du corps, ni par celles de l’esprit. Lui-même rapportant la dispute d’Acidadalius et Gedyk, s’élève contre la stupide grossièreté du premier ; en plusieurs occasions, il aborde pour son compte, — non ex professo, car nul de ses articles n’est consacré spécialement à la femme, mais par d’assez fréquentes et copieuses digressions, — le problème féminin. Et nous le voyons reconnaître aux femmes, outre des qualités particu-