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l’homme qui quitte sa maison pour venir habiter dans celle de sa femme[1], il n’en est pas de même dans telle autre province où règnent à la rigueur le droit romain ou des coutumes établies sur le droit des mâles, comme la coutume normande. Ni en Normandie, ni en Languedoc ou en Guyenne, nous ne voyons de semblables associations entre mari et femme, qui sont courantes dans l’Ile de France.

D’ailleurs, l’association entre les époux s’accompagne très bien dans la pratique d’une rigoureuse subordination de la femme. Dans la plupart des campagnes, la femme est durement traitée par l’homme qui la considère comme un être inférieur, à laquelle il prend souvent à peine plus d’intérêt qu’à son bétail, parfois moins. Comme nous l’avons vu par la protestation d’un curé d’Auvergne, le paysan soigne plus volontiers sa vache que sa femme. Il exige d’elle une obéissance rigoureuse et reste dans sa famille un despote dont l’esprit du siècle n’a pas, comme chez l’ouvrier des villes, tempéré la dureté. Dans un grand nombre de provinces, la femme sert le repas du fermier, puis celui des domestiques et ne mange qu’après le dernier des valets[2]. Elle installe son mari, ses hôtes à table et mange, debout, les restes du repas. Même chez les paysannes aisées de l’Ile de France, dont la femme et les filles sont coquettes et délurées, une telle coutume est en vigueur et elle ne semble pas surprendre ni indigner autrement les observateurs[3].

Elles mangent les restes, s’accoutumant à se priver pour leur mari. Mais veuve, la femme compte dans le village comme l’un des chefs de famille. Sur les registres terriers témoignant que les terres d’une communauté villageoise dépendent de tel seigneur laïque ou ecclésiastique, les signatures féminines figurent en très grand nombre[4].

Les reconnaissances de rente, d’emphytéose, de censives sont faites également par des femmes[5]. Elle joue donc un rôle et assez important dans la communauté villageoise, mais ainsi que la femme seigneuresse, elle ne joue ce rôle que parce qu’elle représente la terre et non à titre d’individu.

  1. Cf. Cordier. Le droit de famille aux Pyrénées, Paris, 1854, in-8°, et Arch. Départ., Cantal, E. 316.
  2. Babeau. Paysans et artisans.
  3. Restif de la Bretonne. Les Parisiennes.
  4. Arch. Départ., Seine-et-Oise, passim, série E.
  5. Arch. Départ., passim et particulièrement Cantal, E. 636, E. 696, E. 856, E. 866-68, E. 1432, et minute du terrier de Notre-Dame-de-Sales, E. 1490.