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glissée dans les derniers paragraphes. Mais tous les autres articles démentent celui-là.

Car celles qui se confient à la générosité du Bon Pasteur sont averties qu’elles n’ont à compter que sur une vie pauvre, dure, retirée[1], faite de silence et de privations. Elles devront dire à l’esprit du monde un adieu éternel.

Y a-t-il une grande différence entre leur existence et celle de prisonnière ? Elles sont vêtues d’une robe de bure à ceinture de cuir noir serrée par une boucle de fer. Une coiffe d’étamine enveloppe strictement leur tête rasée. Levées dès cinq heures du matin, couchées à neuf heures du soir, leur journée s’écoule dans un dur et monotone travail à peine coupé de prières et de lectures pieuses. Toute distraction leur est interdite. Elles ne peuvent même obtenir du papier et de l’encre que sur une autorisation difficilement accordée par la supérieure. Aucune amitié ne peut adoucir leur solitude, car toute amitié particulière est interdite comme rappelant les vaines préoccupations du monde et dangereuse pour la morale.

Et, malgré les promesses inaugurales, il semble bien que tout espoir de véritable relèvement leur soit interdit, car, même si leur conduite est exemplaire, leur piété profonde, leur repentir sincère, elles ne doivent jamais prétendre se hausser au rang des sœurs qui les gouvernent. Toujours il leur faut se rappeler leur indignité. Contrairement aux volontés du Christ et aux intentions de la fondatrice, les filles qui se réfugient entre les bras du Bon Pasteur restent donc marquées de la flétrissure originelle. Nul effort sincère pour les relever.

Ainsi la prostitution féminine, malgré quelques-uns de ses aspects triomphants, montre à merveille l’infériorité flagrante de la condition des femmes qui, poussées dans l’enfer par l’insuffisance des métiers qui leur permettent de gagner leur vie et le salaire dérisoire qu’elles y trouvent, sont, dès le moment de leur chute, des hors la loi soumises sans nulle garantie au caprice d’une police brutale et fantasque et condamnées pour jamais à l’abjection. Comme l’a constaté maint auteur, il semble qu’ « une société mal faite se venge sur elles de ses propres imperfections ».

  1. Règlement de l’hospice du Bon Pasteur. Dictionnaire de la police. Ibid.