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dans son armoire[1] ». Il n’empêche que, du moins dans les grandes villes, leur silhouette élégante ne fasse l’admiration des étrangers.

Pas plus dans les provinces qu’à Paris, l’ouvrière ne participe à la vie morale des corporations. Son rôle dans le compagnonnage est très effacé. Nous ne voyons jamais l’ouvrière faire le tour de France comme les compagnons ni, comme ceux-ci, tenir une place dans la hiérarchie qu’ils se donnent. Cependant, dans un grand nombre de villes, on trouve un personnage bien particulier, la Mère des compagnons ; celle-ci n’est pas elle-même une guvrière qualifiée. C’est le plus souvent la femme ou la veuve d’un ouvrier, parfois une cabaretière. Elle n’a aucun rôle dans l’organisation du travail, mais son habitation, parfois une simple chambre, tient lieu aux compagnons errants de maison commune. C’est chez elle qu’ils se réunissent, se communiquent les nouvelles intéressant leur corporation, prennent connaissance des décisions générales ou personnelles de la communauté. C’est chez elle qu’ils s’assemblent et délibèrent[2]. C’est elle encore qui tient la caisse des communautés, qui centralise la correspondance et tient les archives. La Mère des compagnons représente le lien qui unit l’ouvrier de passage dans une ville étrangère avec ses camarades qui en font leur résidence habituelle ou y sont parvenus avant lui. Dès qu’un compagnon est arrivé dans une ville, il est conduit chez la Mère. Il y trouvera un foyer provisoire et des renseignements le mettant à même d’exercer sa profession sur place ou, du moins, une recommandation pour les compagnons des autres localités de la région. Il y trouvera au besoin des secours en argent ou des soins. C’est donc l’institution de la Mère qui empêcha les compagnons d’être des isolés. D’autre part, les Compagnons du Devoir sont non seulement un groupement professionnel et une société d’assurance mutuelle, mais, en quelque sorte, une organisation syndicale faite pour la solidarité des travailleurs, établie pour l’obtention de meilleures conditions de travail, pour la lutte contre le patronat. Ils sont, pour cette raison, en butte aux persécutions du gouvernement et des autorités provinciales qui interdisent ces associations dont le but est, sous une forme atténuée, la lutte des classes et dissolvent, lorsqu’ils le peuvent, leurs assemblées. Comme elles se tiennent chez la Mère des compagnons, celle-ci, lorsqu’elle est connue,

  1. Babeau. Domestiques et artisans.
  2. Cf. Martin Saint-Léon. Les corporations de métiers.