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sobriété, la pudeur[1]. » Mais la remarque de Restif de la Bretonne sur la grossièreté des ouvrières ne s’applique pas tant aux femmes qui travaillent dans les industries de luxe qu’à celles qui, ouvreuses d’huîtres, marchandes des quatre saisons, vendeuses de volailles, crieuses des rues, marchandes de fruits, d’amadou, de vieux chapeaux, poissonnières ambulantes ou simplement femmes d’ouvriers des faubourgs, vivent dans la rue au milieu de la populace. Celles-là représentent « ce que l’espèce humaine dégradée, avilie, dénaturée peut-être, a de plus vil, de plus corrompu. Imaginez des êtres sans morale, sans idées ni de religion, ni d’honnêteté, ni de droiture… ; elles naissent, vivent et meurent dans Paris, au centre des lumières et du goût, sans avoir plus d’idées que les Hottentots. Les spectacles, les fêtes, les ouvrages de l’esprit public, elles ignorent tout cela. Toute leur politique est à la Grève. Le guet est pour elles le seul gouvernement et le commissaire le seul magistrat[2].

Sans doute, Restif de la Bretonne, très pessimiste et de plus misogyne, pousse-t-il volontiers les choses au noir. Et la plupart des étrangers et des provinciaux de passage à Paris s’accordent au contraire à vanter la bonne grâce, l’amabilité, la complaisance, la gentillesse de la Parisienne. Mais ils n’ont guère l’occasion de vivre au milieu de cette populace que dépeint Restif. Celle-ci est, en effet, le plus souvent ignorante, grossière et livrée à ses seuls intérêts. C’est parmi elles que se recruteront les Euménides sanglantes de la Révolution. Et l’on comprend mieux, en lisant Restif, la folie qui put souffler, en 1793, sur certains clubs féminins et qui enivra les tricoteuses.

La vie de l’ouvrière de province nous est bien moins connue parce qu’elle a moins attiré le regard. Comme l’ouvrière parisienne, elle doit subsister avec un très humble salaire et si, parfois, elle a le goût et le désir du luxe, elle ne peut les satisfaire que bien rarement. Ses vêtements restent dans une tonalité sombre, elle est le plus souvent en gris, d’où le nom de grisette qu’on lui a donné. Quelques-unes se parent de rubans, portent parfois une croix d’or, une bague, un diamant.

Mais, en général, sa maison est mal montée : « elle a moins de luxe que la manœuvrière des campagnes ; on trouve moins de linge

  1. Restif de la Bretonne. Loc, cit.
  2. Ibid.