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leur aspect, la liberté de leur allure qui fait que le provincial ou l’étranger les apercevant entre les glaces des boutiques en train d’arranger « ces pompons, ces colifichets, ces galants trophées que la mode enfante et varie et, échangeant avec elles de libres regards, s’arrête surpris et charmé comme devant un sérail », voilà, au xviiie siècle comme aujourd’hui des éléments indispensables au succès d’un commerce de luxe. « La femme est l’âme d’une boutique » ; aussi, lorsqu’elle collabore avec son mari dans un commerce de cette nature, existe-t-il entre eux une parfaite égalité de fonctions[1].

v. La vie des ouvrières

Nous voudrions pouvoir pénétrer dans la vie intime des ouvrières parisiennes qui, dès cette époque, forment un monde si particulier, si curieux et dont, nous l’avons vu, l’importance économique, artistique mondaine est si grande.

Nous le pouvons dans une certaine mesure car, dès cette époque, les écrivains, tout comme ceux d’aujourd’hui, ont été vivement intéressés par l’extraordinaire contraste qui, dès cette époque, se manifestait entre l’humilité de leur condition et la distinction de leur allure et parfois de leur esprit, leurs aspirations vers une vie d’élégance et de luxe, les facilités que toutes ces qualités leur offrent à sortir de leur condition.

La plupart des observateurs de la vie parisienne ont donc décrit avec complaisance la femme qui travaille, non l’ouvrière d’usine, la tisserande, la fileuse, malheureuse, et d’aspect disgracieux, mais celle qui, exerçant un métier de luxe, attire invinciblement le regard.

La femme du petit marchand, qui tient boutique pour son compte ou pour le compte de son mari, forme, au milieu du peuple de Paris, une classe privilégiée. « Les boutiques de Paris, dit Mercier, recèlent les femmes les plus gaies, les mieux portantes et les moins bégueules…, l’activité qu’elles déploient en fait les égales de leur mari ; celui-ci, en effet, dont elle est l’auxiliaire indispensable, la tient pour son égale et lui laisse dans son ménage une autorité dont ne disposent pas les femmes d’huissiers et de procureurs[2]. »

Alors que celles-ci en effet doivent, pour la moindre dépense, recourir à la générosité d’époux qui leur dispensent chichement de

  1. Mercier. Loc. cit.
  2. Ibid.