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anciens, sont fort rares. À la veille de la Révolution, la petite bourgeoise est croyante. Et cette considération contribue sans doute à expliquer l’histoire religieuse de la Révolution.

Pénétrée d’un tel esprit, la femme conçoit naturellement son rôle à la mode antique. La jeune fille a été élevée selon les principes d’une très rigoureuse retenue, parlant peu, voyant peu de monde, ne sortant que pour quelques visites à la parenté et la promenade dominicale. Elle est presque toujours accompagnée de sa mère. Sans doute, Mercier signale que, dans la dernière classe de la bourgeoisie, elle a plus de liberté que dans les autres classes. Mais ce qu’il dit des jeunes filles de la dernière classe de la bourgeoisie s’applique surtout, nous le verrons, aux grisettes. En général, comme le montrent les mémoires de Mme  Roland, une jeune fille ne sort pas avant le mariage sans être accompagnée. Pendant la semaine, sa mère la mène au marché et prend soin de former son éducation ménagère. Les leçons d’art d’agrément terminées, elle descendait, « en petit fourreau de toile pour aller au marché avec sa mère… acheter à quelques pas du logis, du persil ou de la salade. Tout en lui donnant des grâces de salons, on lui faisait garder l’habitude d’aller à la cuisine éplucher les légumes, faire une omelette ou écumer le pot » [1].

Les jeunes filles ainsi formées deviennent de bonnes ménagères dans toute l’acception du terme, telles ces modèles de Chardin dont la douce, bonne et sérieuse physionomie, dont les gestes simples et cependant d’une noblesse sans recherche, les vêtements modestes, jupe sombre, guimpe et bavolet empesé, et le cadre si humble qui les entoure, présentent (saisissant contraste avec les salons rocailles, les boudoirs tendus de satin broché d’or, les petits nègres vêtus de soie éclatante au milieu desquels vivent les belles dames) la vie du xviiie siècle sous un aspect patriarcal.

Celles-ci, comme les femmes de la bourgeoisie moyenne et plus encore peut-être, forment avec leurs maris des ménages unis. On vit beaucoup ensemble. Les distractions sont communes, comme les peines et les joies. Aussi les unions sont fécondes. Les ménages qui sont à la tête de dix, douze ou quinze enfants se rencontrent fréquemment.

Tous les contemporains sont unanimes à louer les qualités sérieuses, pratiques de la petite bourgeoisie, l’ordre, la propreté qu’elle fait régner au foyer, l’ingéniosité avec laquelle elle utilise

  1. Goncourt. Loc. cit.