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temps la salle à manger et la pièce de réception, voit peu de monde et, pour de très rares promenades, elle se contente de vêtements peu nombreux et modestes ; sur elle ne brillent que quelques bijoux. Au xviiie siècle, et particulièrement dans les dernières années, la vie est devenue plus facile ; la petite bourgeoisie a profité, comme les autres, de cette amélioration de l’existence. À la fin du xviiie siècle, lorsqu’elle est un peu aisée, elle porte non plus les sombres costumes de serge, mais la popeline de satin, le damas, le velours et, à la veille de la Révolution, les indiennes et les siamoises rayées ou imprimées qui font fureur dans toutes les classes de la société. Elle entasse dans ses armoires de grandes quantités de linge : des chemises par douzaines dont quelques-unes, en dentelles de Malines ou en point d’Angleterre, valant 4 à 500 livres. Elle porte de lourds bijoux d’or : broches, bagues, boucles d’oreilles et bientôt apparaissent le diamant et les perles. Elles ont une pièce de réception que quelques-unes appellent leur salon et que d’autres plus modestes continuent d’appeler leur salle, mais qui n’a plus d’autre usage que la vie mondaine : c’est une pièce proprement meublée, sans grand luxe encore, mais ornée de glaces et de tableaux[1], où l’on donne des réunions intimes, d’ailleurs fort peu nombreuses, et où sont rares les beaux esprits et les femmes savantes. On parle des enfants, des domestiques, des voisins. L’esprit reste étroit et s’adapte difficilement aux idées et aux manières de vivre nouvelles. Ni grandes discussions philosophiques, ici, ni conversation d’un tour léger. L’ancienne morale, les anciens préjugés trouvent, parmi les petites bourgeoises, d’ardents défenseurs. Que l’une d’elles, par largeur de vues ou indolence, laisse l’esprit du siècle pénétrer chez soi et animer ses enfants, la voilà sérieusement critiquée par ses amis. Aussi la prude Mme  Charbonié reprocha vertement à Mme  Phlipon de permettre à la future Mme  Roland la lecture de l’impur Candide.

C’est qu’en effet, le sentiment religieux et son corollaire inévitable, le respect des traditions, restent très fort dans la petite bourgeoisie et bien plus chez les femmes que chez les hommes. On ne les entendra pas, comme les femmes de la Cour ou les femmes de parlementaires, fronder la religion ou les institutions établies ou faire profession d’incrédulité. Non seulement elles pratiquent les devoirs extérieurs, mais elles croient. Celles qui, comme Mme  Roland, se sont faites, par la lecture des classiques et des philosophes, des convictions personnelles et se détachent des dogmes

  1. Mme  Roland. Mémoires.