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de Prie ; la petite-fille de Crozat, fille elle-même il est vrai d’une mère bien née, devint duchesse de Choiseul. Une fille du banquier de la Cour, de la Borde, fut duchesse de Cars, une fille de Oucat, simple employé de la banque de Law, marquise de Coetlogon, une fille du fermier Brisart, marquise de Thias. La comtesse de Saint-Séverin, femme du négociateur d’Aix-la-Chapelle, est la fille du fermier général Fillion de Villemur. Les filles du fermier général Helvétius sont marquises d’Andlau et de Mare. La fille du fermier Fizeau de Clémont épouse le comte de Brienne, futur ministre de la guerre sous Louis XVI [1].

Les filles du traitant Savagette, fils lui-même d’un marchand des quatre saisons, sont marquise de Coutrilles et comtesse de Broglie ; la fille d’Olivier de Senozan devient princesse de Tingry.

Ce sont les filles de finance qui, le plus souvent, ont payé les dettes des grands seigneurs, alimenté leur luxe. C’est par elles que les grands ont pu acheter les charges de la Cour les plus coûteuses mais les plus productives. « La dot de presque toutes les épouses des seigneurs, dit Mercier, est sortie de la caisse des fermes[2]. »

Ainsi, toute fille de financier suffisamment riche sort de sa classe et il est assez exceptionnel de l’y voir rester.

Très vite, d’ailleurs, les filles des financiers prennent les manières et le ton de la Cour ; dès le moment où, au milieu des pompes de cérémonies dignes de filles de rois, leurs noces ont été célébrées, elles font partie de la noblesse de Cour et n’ont plus guère de rapports avec leur classe originelle.

Si donc l’on veut se rendre compte de la situation et du rôle des femmes dans la haute finance, ce n’est pas elles qu’il faut considérer. Mais, sur les femmes de financiers il y a peu de chose à dire. Tandis que leurs maris éblouissent le monde de l’éclat de leurs fêtes, de leur prodigalité généreuse ou insensée, l’étonnent par leur excentricité, s’affichent avec des filles d’opéra, qu’ils entourent d’un luxe prodigieux, leurs femmes, elles, n’ont, la plupart du temps, pas d’histoire.

Leur rôle est peu éclatant et elles semblent s’enfoncer d’autant plus dans l’ombre que leurs maris sont plus en lumière. Parmi les femmes de fermiers généraux, deux seulement se distinguent et jouent un rôle mondain : Mme  Helvétius et Mme  d’Epinay.

Celle-ci appartient à l’histoire littéraire tant par ses œuvres per-

  1. Carré. Loc. cit.
  2. Loc. cit.