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« Tout provinciaux qu’ils fussent, les Mirabeau firent très mauvais ménage. Ils étaient l’un et l’autre violents, fantasques, sensuels. Ils eurent onze enfants. Mais le marquis installa chez lui une de ses maîtresses… La marquise s’en alla dans ses terres et prit des amants, ils plaidèrent furieusement l’un contre l’autre, mêlant leurs enfants à leurs querelles[1]. »

Il semble cependant que les bons ménages fussent beaucoup moins rares dans la noblesse provinciale que dans la noblesse parisienne et que le détachement des époux ne fut pas de règle aussi générale. Le ménage de Charles-Elie de Ferrière, marié, nous l’avons vu, à Mlle de Monbielle d’Hus, offre l’image d’un calme bonheur. Dans le château où elle vit avec son mari, auprès d’Angers, Mme de Thilleau vit très heureuse, « loin des grandeurs », ses jours tous remplis par l’affection d’un mari qu’elle aime[2]. En 1770, une châtelaine lorraine, Mme de Gouy d’Arcy, écrit à un de ses amis, M. de la Varenne : « Aimant mon mari de plus en plus et en étant de plus en plus aimée, rien ne manque à mon bonheur que d’en rendre mes amis les témoins » [3].

Quel contraste entre la vie qu’évoquent ces quelques lignes et l’indifférence de bon ton des époux courtisans !

Sans doute, la province comme Paris connaît des scandales et les mémoires du temps, comme les pièces d’archives, nous révèlent que très fréquemment des jeunes filles ou des femmes reçurent, sur la requête de leur mari ou de leurs parents, des lettres de cachet, salaire de leur trop légère conduite. Ici, c’est une inflammable veuve bordelaise, Mme de Fresne du Bouquet, qui a eu des bontés pour un homme au-dessous de sa condition et que ses parents, voulant empêcher une mésalliance, font enfermer[4]. Là, une femme, dont le mari obtient la réclusion dans un couvent pour accrocs trop nombreux à la loi conjugale et qui d’ailleurs proteste, alléguant que son époux veut se réserver le contrôle de sa fortune[5]. Chose curieuse, les provinces méridionales surtout, et particulièrement le Languedoc et la Guyenne, où sans doute s’était conservée depuis les Albigeois la tradition d’une existence molle emplie par les occupations amoureuses, nous offrent, de beaucoup, les plus nombreux exemples de femmes enfermées à la requête de leurs

  1. Carré. Loc. cit.
  2. Arch. dép., Maine-et-Loire, F. 2327.
  3. Mme de Gouy d’Arcy à M. de Varennes (Arch. dép., Lorraine annexée).
  4. Arch. dép., Gironde, C. 224.
  5. Arch. dép., Hérault, C. 108.