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fut encore trompé. Ce ne fut pas Saint-Priest, candidat de la reine, mais Montmorin qui prit le portefeuille, et Mercy Argenteau constatait que, pratiquement, la reine n’avait pas plus d’influence que si elle eut régné dans un pays où les femmes n’ont pas l’habitude de se mêler des affaires publiques[1].

Nulle ou presque dans les affaires extérieures, l’influence de la reine dans les affaires intérieures grandit singulièrement après la chute de Calonne.

Elle réussit alors à porter aux affaires Loménie de Brienne Une première fois, après la chute de Necker, elle l’avait essayé ; elle s’était heurtée alors aux préventions du roi contre l’archevêque de Toulouse[2]. Cette fois, elle réussit et Loménie de Brienne fut considéré avec raison comme le représentant de la politique de la reine. Même alors, cependant, elle n’acceptait son rôle qu’avec ennui. « Ah ! se serait-elle écriée un jour, il n’y a plus de bonheur pour moi depuis qu’ils m’ont faite intrigante, car une femme qui ose se mêler d’affaires au-dessus des bornes de ses connaissances est hors de son devoir[3]. » « Je pleure, avait-elle dit en d’autres circonstances, de faire des ministres comme une favorite…[4] » Sans doute, lorsqu’elle prononçait cette parole, lui revenait-il à l’esprit le renvoi de Choiseul et le remaniement ministériel qui, sous les auspices de la Dubarry, auquel, jeune dauphine, amenée à la Cour par Choiseul, elle avait dû assister.

Le mot est d’autant plus significatif que, elle s’en rendait compte alors, son ingérence dans les affaires publiques était payée de la même impopularité qui, sous le règne précédent, avait poursuivi les favorites. « Depuis que je vais à des comités chez le roi, dit encore la reine à Mme Campan, j’ai entendu, pendant que je traversais l’Œil-de-Beuf, un des musiciens de la chapelle dire assez haut pour que je n’aie pas perdu une seule de ses paroles : « Une reine qui fait son devoir reste dans ses appartements à faire du filet[5]. »

C’est déjà, avant la lettre, l’esprit révolutionnaire. Et cependant, poussée par son entourage immédiat et par sa famille, la reine entreprit de diriger les affaires de l’État. Elle crut, semble-t-il, son attitude nécessaire ; l’apathie du roi, son indifférence pour les

  1. Lettre de Mercy Argenteau, citée par de Pimodan. Loc. cit.
  2. Mme Campan. Souvenirs.
  3. Ibid.
  4. Ibid.
  5. Ibid.