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dans l’esprit du roi, une place prépondérante. C’est qu’elle fut alors pour lui une amie, une confidente, la plus dévouée des amies, la plus sûre des confidentes. Or, Louis XV, sceptique, qui méprisait les hommes et, notait d’Argenson, « suivait les courtisans sans les aimer », vécut avec la hantise perpétuelle et souvent justifiée que tout à sa Cour conspirait à le tromper. « Lorsque je jette les yeux sur un homme pour en faire un ministre, dit-il un jour à Mme de Pompadour, il semble que tout le monde s’accorde, loin de guider mon choix, pour me dissimuler tous ses défauts et me le représenter comme l’homme le plus éminent du royaume[1]. »

Aussi Louis XV, qui cependant garda assez longtemps ses ministres, toujours par habitude et par horreur des nouvelles physionomies, n’eut cependant en aucun d’entre eux une confiance absolue. Aussi trouva-t-il ou crut-il trouver dans Mme de Pompadour ce que, à un moindre degré, il avait trouvé dans son ancien précepteur, l’amitié désintéressée, la sûreté des conseils. Il fallait au roi quelqu’un auprès de qui il put au besoin s’épancher librement. « Il faut à notre maître des roseaux comme à Midas pour aller dire ce qu’il doit taire, débonder sa mémoire et son cœur…, et cette confidente ne peut être qu’une femme[2]. »

Or, il ne pouvait trouver ce confident intime et sûr ni auprès de la reine, enfouie dans une dévotion étroite, et les préoccupations d’un épais matérialisme, ni dans le dauphin, systématiquement hostile, ni même dans Mesdames de France, trop jeunes pendant la plus grande partie du règne, ni dans aucun des ministres. Mme de Pompadour, au contraire, intelligente, avisée, pleine de bon sens, femme de tête dans toute l’acception du terme et dont la recherche de l’intérêt personnel et l’ambition n’empêchaient en rien un amour sincère pour le roi, tint à merveille ce rôle de confident et de conseiller.

À plusieurs reprises, en effet, Louis XV dévoila à Mme de Pompadour ce qu’il ne fit jamais à ses ministres, ses pensées les plus secrètes ; devant elle, il « débonda » son cœur souvent ulcéré par la bassesse des courtisans et les résistances du clergé ou des parlementaires, la médiocrité des ministres.

Parfois, il la mit au courant de ses vues les plus cachées sur la politique intérieure ou extérieure du pays. Il trouva en elle un réconfort, un appui, un conseil. « Elle est, note d’Argenson, en 1756, le centre des consolations royales pour

  1. Mme du Hausset. Mémoires.
  2. D’Argenson. Loc. cit.