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vie d’une grande dame de la Cour ou de la ville, une vie extérieure très développée, une vie intellectuelle très active et, au contraire, nulle vie intime, nulle vie familiale. Comme le note fort bien Mercier, « les femmes qui désertent de plus en plus le foyer tendent à abandonner le gouvernement de la famille. Et comme naturellement l’homme ne voudrait le prendre, la famille se dissout ».

ii. Modes d’action de l’influence féminine à la Cour

Libérée dans la pratique de l’obéissance au mari, que les lois continuent d’exiger d’elles, dégagée de toutes obligations, de tout devoir familial, désertant le foyer sauf lorsque, sous la forme de réunions brillantes, le monde y pénètre, la femme de la Cour mène donc une vie aussi libre que celles des hommes et somme toute peu différente de la leur. Une telle vie est éminemment favorable à la conquête de l’influence politique.

Considérons, en effet, dans quels lieux et de quelle manière se font et se défont les ministres, s’opèrent les nominations de fonctionnaires, s’élaborent les décisions les plus importantes de la politique nationale et internationale : à la Cour, dans les innombrables coteries qui se pressent autour du roi, de la reine, du dauphin, de chacun des princes du sang ; à la ville, au Palais-Royal, dans les hôtels de Condé ou de Conti, dans les salons d’un nombre infini de grandes dames, dans les conciliabules des traitants, fermiers généraux, financiers ; les petits soupers qui, à la Cour, réunissent le roi et ses familiers ou, à la ville, financiers, grands seigneurs, secrétaires d’État, hommes de lettres sont, non seulement l’un des aspects de la vie mondaine, mais de la vie littéraire et politique. Or, la Cour et la ville, les coteries de Versailles et les salons de Paris ne prennent leur éclat que de la femme et, à vrai dire, sans elle ne se concevraient pas. « Le spectacle était plus beau, dit Barbier en parlant de la représentation d’Alceste, parce qu’il était garni de femmes. »

Ce mot est tout un symbole de la vie de société. Dans les cabinets du roi, au cours des petits soupers, la femme règne et, par la petite ou la grande porte, elle pénètre auprès des fermiers généraux, des secrétaires d’État, des parlementaires.

Or, l’émancipation pratique des femmes n’entraîne pas, comme le répètent aujourd’hui les adversaires du féminisme, la diminution de leur influence sur l’esprit des hommes. Nul siècle plus que le xviiie n’a consacré la royauté de la femme. Ce n’est pas cependant