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la grâce[1] », il faut encore se reconnaître dans les 150 espèces de garnitures dont s’ornent les satins couleur puce, faille à boyau, cheveux de la reine, soupirs étouffés ou vive bergère et dont les appellations : plainte indiscrète…, doux sourire, regrets, rappellent, en cette époque de sentimentalité, les jolies stations de la carte du Tendre. Et si la simplicité apparaît quelquefois dans le vêtement, la recherche, la complication, toutes les folies du luxe se retrouvent dans les déshabillés au point d’Angleterre ou au point de Venise, qui valent jusqu’à neuf mille livres, ou sur les souliers que la mode veut ruisselants de diamants, de perles et d’émeraudes et qui semblent embrasser le pied féminin dans un écrin.

Suivre la mode, donc, grande affaire pour la femme et l’importance que prennent pour elle les caprices de la déesse est comme le symbole de son accaparement par la vie extérieure. Au lever, au coucher, les exigences du monde la prennent et l’absorbent. « Le matin, elle est à sa toilette, son cabinet se remplit de jeunes fous qui viennent lui conter les nouvelles, d’abbés mondains curieux de placer un sonnet ou un impromptu… Le dîner, des visites et de longues séances chez la couturière ou chez la modiste ont vite absorbé le reste de sa journée. Puis vient le souper, joyeux et galant…, après le souper, c’est le jeu ou le bal et, si l’on rentre dans son hôtel sans qu’une idée sérieuse vous ait traversé la tête, on s’estime bien payé de son temps et de sa peine[2]. « Pour satirique qu’il soit, ce résumé de la journée d’une mondaine est assez fidèle.

Pour peindre la femme du monde au milieu de la multiplicité de ses occupations, c’est d’ailleurs un volume entier, ou du moins de longs chapitres qui seraient nécessaires, et Concourt a tracé de cet aspect de la vie féminine un tableau si complet, si rempli et de couleurs si éclatantes, sinon d’un dessin si net, qu’il faut toujours s’y reporter comme à la synthèse la meilleure. Et comme il n’entre pas dans le plan de cette étude de la refaire, mais seulement de marquer le rôle de la femme dans la société du xviiie siècle et les éléments qui conditionnent ou expliquent ce rôle, nous signaleraient seulement les traits suivants :

On ne peut attribuer à toutes les femmes, même de la Cour, la vie tourbillonnante où, comme dans un kaléidoscope mondain, se succèdent toilette, visites de la marchande de modes, comédies,

  1. Mercier. Loc. cit.
  2. Carré. La France sous Louis XV