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mes ne l’a égalé. Du moins est-il exact que les femmes ne le cèdent aux hommes ni par le goût littéraire, ni par le sens politique. Leur éducation première a été souvent honteusement négligée ; elles la complètent elles-mêmes par la lecture assidue de toutes les œuvres nouvelles. Les Lettres persanes d’abord, puis les pièces de théâtre et les contes philosophiques de Voltaire, de Diderot, de Marmontel, les ouvrages d’Helvétius, d’Holbach et des encyclopédistes, plus tard les œuvres de Rousseau sont lus avidement par les dames de la Cour et de la ville. Elles font de ces graves ouvrages des livres de chevet qui figurent en bonne place dans leurs boudoirs, sur leur toilette parfois, entre les mouches et le rouge. Pour se rendre compte que ces livres étaient non seulement lus mais assimilés, il suffit de constater qu’aux différents aspects, aux différentes phases du mouvement philosophique correspondent chez les femmes des tournures d’esprit différentes. Au milieu du xviie siècle, le scepticisme est la mode ; il s’accompagne d’un esprit caustique et d’une impitoyable raillerie. Un peu plus tard, le sentiment, la sensibilité triomphent et il y a autant de différence entre une Mme du Deffand et une Mlle de Lespinasse, qu’entre Montesquieu et Rousseau. À la veille de la Révolution, la recherche scientifique conquiert la faveur de l’opinion. Les femmes sont passionnées de sciences, s’intéressent aux expériences de Franklin, de Montgolfier, aux premières applications de l’électricité. D’innombrables académies, Athénées, collèges s’ouvrent dans Paris, particulièrement au Palais-Royal. Les femmes s’y pressent, nombreuses, pour écouter les savants et, selon le mot de Mercier, « badinent avec les sciences ». Elles semblent aussi bien en état que la moyenne des hommes de tenir leur place dans une société où, pour briller, il faut lire et réfléchir, où l’esprit est roi.

Lorsqu’elle veut jouer un rôle actif dans la politique, la femme sent le besoin d’approfondir, sur certaines matières, son instruction, voire, comme nous dirions aujourd’hui, de se documenter. En 1778, toutes les jolies femmes ont sur leur toilette le compte-rendu de Necker ; Mme de Pompadour s’instruit dans les livres et dans la pratique[1] de la politique ; elle lit avec attention tous les ouvrages relatifs à la politique et aux guerres de Louis XIV. En 1751, les mémoires de Torcy sur les traités d’Utrecht sont sa lecture favorite[2].

Ainsi, défavorisées par leur éducation première, les femmes

  1. Mme de Pompadour. Mémoires.
  2. D’Argenson. Mémoires (tome VIII).