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trompé se livrer à de telles extrémités. L’usage mondain lui recommande une souriante philosophie. « Je permets tout à ma femme, sauf les laquais, dit un mari de la fin du siècle[1]. » Entre un mari et une femme qui ne jugent plus pouvoir supporter la vie commune » il intervient fréquemment une de ces séparations à l’amiable qui rendent à chacun des époux leur liberté. Ainsi fit M. de la Popelinière après la découverte de la cheminée par où le maréchal de Richelieu, propriétaire d’un hôtel contigu au sien, allait en son absence trouver sa femme. Cette aventure l’ayant rendu ridicule dans tout Paris[2], le fermier général jugea la vie commune impossible mais ne se livra à aucune extrémité contre sa femme et n’usa même pas de son droit de lui intenter un procès en adultère. Il se sépara d’elle sans l’intervention des tribunaux et la pourvut d’une pension de 10 000 lirves.

« C’est un trait commun à présent que les séparations de maris et de femmes par transaction[3]. > Ainsi très nombreuses sont les femmes qui, à la faculté près de se remarier, jouissent de tous les avantages du divorce et, pourvues de larges moyens d’existence, n’ayant de comptes à rendre à personne sur leur conduite, mènent une vie absolument libre.

Mais la plupart du temps, il n’est même pas nécessaire que les choses en viennent là, ni qu’un éclat ne rompe officiellement la vie commune pour qu’en fait la femme jouisse d’une presque absolue liberté. »

D’elle-même, et dès les premiers mois de son mariage, elle se détache de son mari pour se créer en dehors de lui un cercle d’amis, une société souvent absolument étrangère à celle qu’il fréquente d’autre part. On trouve parfois un couple d’époux qui s’aiment et vivent vraiment ensemble. Le comte et la comtesse d’Harcourt donnèrent l’exemple d’un amour ardent et qui persiste par delà la mort. La comtesse d’Harcourt, devenue veuve, fit modeler la statue en cire de son mari, la plaça dans la chambre du mort où elle ne changea rien, passa presque toute sa vie dans cette chambre seule avec la tristesse et ses souvenirs[4]. Mais on citait cette Artémise nouvelle. Et, la plupart du temps, les époux se conformaient aux usages du monde qui exigeaient une indifférence polie

  1. Senac de Meilhan. Considérations sur l’esprit et les mœurs.
  2. « On ne l’appelle plus, dit d’Argenson, que la bête à corne. On vend partout de petites cheminées. » (Mémoires).
  3. Ibid.
  4. Bachaumont. Mémoires secrets.