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du pays ne sont-ils pas étrangers à leur sainte colère. Sans doute ! mais aussi affaire de mode ; le Roman de la Rose est le livre de chevet des gens du monde et la Bible des lettrés. Il traîne la femme dans la boue ; docile, l’opinion publique s’acharne sur la femme. Pour ses sœurs, Christine relève le gant. Elle a créé l’association des chevaliers de la Rose, qui, comme les preux du grand siècle précédent, seront les champions de la femme. Elle s’attaque avec véhémence à l’idole adorée, l’auteur du Roman de la Rose Jehan de Meung, et tient tête à la meute de ceux qui crient au scandale, espérant de leur autorité écraser une faible femme. Et elle-même compose le Trésor des Dames et la Cité des Dames, pour démontrer l’éminente dignité du sexe calomnié.

Et voici la grande nouveauté. Quand, plongée en une triste rêverie, Christine s’afflige sur le sort des femmes, rabaissées, calomniées, trois lumineuses figures lui apparaissent pour lui dicter son plaidoyer. La Vierge Marie ? la Foi ? la Charité ? Non, mais Raison, Droiture, Justice. Avec Christine, le féminisme descend du ciel sur la terre. C’est dans ce monde que doit se réaliser l’égalité. Et, tout comme plus tard Poulain de la Barre, Condorcet ou Stuart Mill, Christine de Pisan va, pour établir cette égalité, faire appel à la seule raison.

C’est en effet, non un nébuleux mysticisme, mais le bon sens, l’observation et l’expérience qui lui dictent ses arguments. « Regardons autour de nous, dit-elle, et, l’esprit affranchi de toute littérature, jugeons impartialement qui de l’homme ou de la femme est le plus vertueux ? Sans doute la femme,