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APPENDICE.

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enflamma les hommes eux-mêmes pour la guerre de Dieu, et, le roi Jabin vaincu, Sisara son général tué, l’armée profane détruite, entonna un can- tique et le consacra pieusement aux louanges du Seigneur ? Bieu plus glo- rieuse sera la victoire que tous remporterez par la grâce de Dieu, vous et vos filles, sur des ennemis bien plus redoutables ; bien plus glorieux aussi sera le chant que vous entonnerez, et si joyeuse vous le chanterez, que jamais plus la joie ni le chant ne cesseront de retentir dans votre cœur. Vous serez pour les servantes de Dieu, c’est-à-dire pour l’armée céleste, ce que Débora fut pour le peuple juif. Et ce combat, dont le profit est si grand, aucun temps, aucun événement ne viendra l’interrompre : la victoire seule y mettra un terme.

Le nom de Débora, votre savoir ne l’ignore pas, signifie en langue hé- braïque abeille. Vous serez encore en cela une Débora, c’est-à-dire une abeille. En effet, vous composerez un trésor de miel, mais non pour un seul. Tous les sucs que vous aurez recueillis çà et là de diverses fleurs, vous les verserez par votre exemple, par vos paroles, par tous les moyens possibles, dans le cœur des femmes de votre maison ou d’autres femmes. Pendant le court espace de cette vie mortelle, vous vous rassasierez vous-mêrn", de la secrète douceur des saintes Écritures, et votre libre prédication en rassa- siera vos sœurs bienheureuses jusqu’au jour où, suivant la parole du Pro- phète, les montagnes distilleront l’éternelle douceur, où du sein des collines couleront des misseaux de lait et de miel. En effet, bien que cela soit dit du temps de la grâce, rien n’empêche, et il est plus doux de l’entendre du temps de la gloire.

II serait doux aussi pour moi de prolonger avec vous un semblable en- tretien, tant je suis charmé par votre érudition ; tant surtout l’éloge que bien des personnes m’ont fait de votre piété m’attire ! Plùl à Dieu que notre abbaye de Cluni vous eût.possédée ! Plût à Dieu que cette délicieuse maison de Marcigny vous eût renfermée avec les autres servantes du Christ qui attendaient dans cette captivité ta liberté céleste ! J’aurais préféré les ri- chesses de la religion et de la science aux trésors des rois les plus opulents, et j’aurais vu avec ravissement le magnifique collège de ces saintes sœurs recevoir de votre présence un redoublement d’éelat. Vous auriez vous-même tiré quelque avantage de cet entourage, en considérant la plus haute no- blesse du monde et l’orgueil foulés aux pieds. Vous auriez vu toutes les délices du siècle échangées contre un dénùment inouï, et les vases impurs du démon devenus tout à coup des temples sans tache de l’Esprit saint. Vous auriez vu ces jeunes filles du Seigneur, dérobées à Satan ou au monde comme par un larcin, élever sur les fondements de l’innocence les saintes murailles des vertus, et conduire jusqu’aux voûtes mêmes du ciel le faite de leur bienheureux édifice. Vous auriez tressailli de joie, en contemplant ces jeunes filles dans la fleur de leur augélique virginité, réunies aux plus chastes des veuves, soutenant avec elles la gloire de cette heureuse et glo-