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QUESTIONS D’HÉLOlSE ET RÉPONSES D’ABÉLARD. 523

Mais que répondre à cette parole si claire de l’Apôtre : « Qu’il fas>e ce

qu’il veut : ce n’est pas un péché que se marier. Si vous prenez femme,

tous ne péchez point ; une vierge même qui se marie ne pèche point ? » On

ne peut donc mettre en doute que le mariage ne soit pas un péché. L’Apôtre

n’accorde pas le mariage par indulgence ; car qui pourrait soutenir sans

absurdité que ceux-là ne pèchent point, auxquels indulgence est accordée ?

Ce qu’il accorde par indulgence, c’est le commerce do la chair auquel on

se livre par incontinence et non-seulement sans le désir d’avoir des enfants,

mais avec le désir de n’en point avoir : commerce dont le mariage ne fait

pas une nécessité, mais dont on demande la tolérance ; encore ne faut-il

pas toutefois qu’il passe la mesure, qu’il entreprenne sur les instants qui

doivent être réservés à la prière, et tourne à un usage contre nature.

L’Apôtre ne pouvait se taire sur ce point, dès le moment qu’il parlait de la

corruption excessive des hommes impurs et impies. Quant au commerce de

la chair, nécessaire pour la génération des enfants, il est en soi exempt de

péché dans le mariage.

Pour celui qui franchit les limites de cette nécessité, il n’obéit plus à la raison, il cède à la passion. L’époux cependant doit non exiger ce com- merce de l’épouse, mais s’y prêter, pour que celui des deux qui le recherche n’encoure pas la damnation éternelle par péché de fornication. Que si tous deux sont les esclaves de la même concupiscence, ce qu’ils font n’a plus le moindre rapport avec le mariage. Toutefois si, dans leur union, ils aiment ce qui est honnête plutôt que ce qui ne l’est pas, c’est-à-dire ce qui tient au mariage plutôt que ce qui n’y tient pas, « indulgence leur est accordée, » suivant la parole de l’Apôtre. Et ailleurs : « Ce commerce naturel, quand il va au delà du but du mariage, c’est-à-dire de la nécessité de propager l’espèce, est faute vénielle chez une femme mariée, péché mortel chez la courtisane ; quant au commerce contre nature, exécrable chez la courti- sane, il est plus exécrable chez la femme mariée. Telle est l’harmonie des règles de la création et des rapports des créatures, qu’il est beaucoup plus pardonnable de passer la mesure dans les choses dont l’usage est concédé, que de la forcer, ne fût-ce qu’une fois, dans celles dont l’usage n’est pas permis. »

Voici pourquoi l’intempérance de l’époux doit être tolérée : c’est de peur que sa passion l’entraîne dans des abus défendus. C’est pour cela qu’il est beaucoup moins coupable de rechercher le commerce de sa femme, que de se livrer à la fornication, fût-ce aussi rarement que possible. D’autre part, quand l’homme veut user de sa femme contre nature, la femme est plus criminelle de su laisser faire, que de le laisser faire sur une autre femme. L’honneur du mariage est d’engendrer chastement et de se payer mutuelle- ment le fidèle tribut du commerce de la ch :tir ; tel est le but du lien conjugal, et voilà ce que l’Apôtre ai franchit de toute faute, quand il dit : « Si vous avez pris femme, vous n’avez point péché ; une vierge même peut se marier, sans