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intempérance. Ils doivent donc être comptés au nombre des enfants de Dieu, ceux qui sont aujourd’hui forcés par les liens du mariage de subir l’esclavage de la chair. De cet esclavage, l’Apôtre, selon saint Jérôme, dit : « On t’appelle esclave ? ne t’en émeus pas : celui qui établi en mariage a été converti à la foi du Christ est un esclave qui a suivi la voix et la main de Dieu. » Quel plus grand esclavage, en effet, que celui qui ne laisse point à l’époux ni à l’épouse le pouvoir de leur corps, qui ne leur permet pas de s’abstenir du commerce de la chair, ni même de se livrer à la prière que d’un commun accord ? Et cependant ceux qui sont soumis à cet esclavage mériteront d’être appelés fils de Dieu, lorsque de cet esclavage ils passeront à la liberté de la vie supérieure, « où ils n’épouseront ni ne seront épousés, mais où ils seront anges dans le ciel ! »

Que ces courtes explications suffisent telles quelles, pour la définition des béatitudes, c’est-à-dire des vertus ou des dons de la grâce divine qui font la béatitude. Reste à expliquer comment un seul de ces dons sans les autres produit la béatitude, quand il est dit que ce n’est pas assez d’observer un seul des commandements de Dieu, quand il est dit, bien plus, que celui qui a accompli tous les commandements, sauf un seul, encourt, pour en avoir omis un seul, la damnation éternelle. Or, autant que j’en puis juger, celui qui a dit : « Heureux les pauvres » et qui a ajouté : « en esprit, » a sous-entendu pour tout le reste la même addition, et c’est comme s’il eût dit : ceux qui sont doux en esprit, ceux qui pleurent en esprit : en sorte que l’Esprit de Dieu, ou, en d’autres termes, l’amour de Dieu fait que ceux qui suivent l’une de ces prescriptions, ou les autres, non-seulement sont fidèles, mais sont supérieurs et riches en tout le reste. Le monde est composé de quatre éléments ; cependant chaque élément tire son nom de la partie qui domine en lui ; ainsi les grâces des fidèles se distinguent les unes des autres par celles dont ils paraissent le plus riches. On dit que l’amour de Dieu a fait ceux-ci pauvres, parce qu’ils ont poussé plus haut et plus loin le mépris des richesses. Pareillement on appelle doux ceux que l’amour de Dieu élève particulièrement au-dessus des autres par la vertu de la patience. Et ainsi de tous les autres. Mais l’amour de Dieu, qui ne peut être mauvais à personne, les a tous faits bienheureux et dignes de la béatitude, encore qu’ils soient arrivés dans tel ou tel de ses dons à un degré plus élevé de perfection.

Quant à la différence des mots ajoutés pour l’indication de la récompense : « Parce que le royaume des cieux est à eux ; » ou « parce qu’ils posséderont la terre, » elle n’entraîne nullement une différence de signification dans la récompense. Le Seigneur, évitant les ennuis de la répétition, a changé les termes en les appropriant au sens et à la nature de la chose ; ce qui est un détail sans importance. Rien de plus naturel que de promettre aux pauvres ce royaume des cieux. Ceux qui méprisent les richesses de la terre pour l’amour de Dieu doivent mériter les richesses du ciel. Aux doux qui, par un sage esprit de conduite, se possèdent, convient la possession de la terre des