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QUESTIONS D’ilÉLOlSE ET RÉPONSES D’ABÉLARD. 441

ment que c’est un droit qui lui appartient. « C’est moi qui tuerai, i dit-il, « et qui ferai croître. » 11 tue et épargne en nous, selon que, se servant de nous comme d’un instrument, 11 nous fait, par ses ordres, tuer les coupa- blés ou épargner les innocents, en sorte que c’est à lui, et non à nous que ces sentences doivent être imputées.

Lorsque quelque puissant fait quelque chose par la main de ses ouvriers, on dit que c’est l’œuvre moins de ceux-ci que de lui-même, c’est-à-dire non de ceux qui ont fait la chose de leurs mains, mais de celui qui l’a fait faire par leurs mains. C’est donc à l’homme, non à Dieu, qu’il est interdit de tuer. Or, c’est l’homme qui tue, et non Dieu dans l’homme, quand il le fait par un sentiment de méchanceté personnelle, non par l’ordre de Dieu, c’est-à-dire quand il le fait de lui-même, non d’après la loi, et qu’il obéit à sa méchanceté plutôt qu’à la loi divine. Alors, en effet, il prend le glaive, non en vue d’exercer la justice pour puuir, mais en vue de donner satisfaction à son impiété. Et c’est d’un de ceux qui s’abandonnent à ce sentiment que la Vérité dit : « Celui qui aura pris le glaive périra par le glaive. • Celui qui aura pris, dit-il, non celui auquel la puissance l’aura remis, doit périr par le glaive, pour avoir osé recourir injustement au glaive. Lorsqu’un soldat se sert du glaive qui lui a été mis entre les mains par le roi pour punir, c’est le roi qui agit en lui, il n’est en cela que l’exé- cuteur de ses œuvres. Voilà pourquoi saint Augustin dit dans le livre pre- mier de la Cité de Dieu : « Tu ne tueras point, excepté ceux que Dieu a donné l’ordre de tuer, soit par le texte de sa loi, soit par un commandement exprès en vue d’une personne. Celui-là ne tue pas qui obéit à un ordre et dont le glaive n’est qu’un instrument. » Et ailleurs, dans les Questions relatives à Y Exode : i Les Israélites ne commirent pas de vol en dépouillant les Égyp- tiens, » dit-il ; « ils ne firent qu’obéir au commandement de Dieu : ainsi le ministre de la justice tue celui que la loi lui ordonne de tuer. Assurément, s’il faisait cela de lui-même, il serait homicide, alors même qu’il saurait que celui qu’il tue devrait être tué par le juge. » Et encore dans les Ques- tions relative» au Lévitique. ; t Quand cet homme est tué, dit-il, c’est la loi qui le tue, et non nous. • Par ces paroles, on voit clairement qu’on ne peut appeler proprement homicide ou vol ce que l’on fait par obéissance, puisque c’est bien faire que d’accomplir un ordre de Dieu. Tout ce qui se rattache à Dieu et dépend de sa puissance doit être considéré comme le fait de Dieu, plutôt que celui de l’homme. L’homme n’est point le maître des choses, il n’en est que le dispensateur, puisqu’il n’a rien que par la permission de Dieu, et ce n’est point ravir injustement un pouvoir que de le prendre par ordre de Dieu. Mais ces droits ne nous sont remis par celui auquel ils appartiennent qu’autant qu’il le veut bien ; ils sont faits pour passer à son gré dans d’autres mains ; et l’on est d’autant moins digne de les exercer et de les garder, qu’on reconnaît moins celui dont on les tient. Tels furent jadis les Égyptiens qui, par leur infidélité, se rendirent indignes de les garder et les perdirent.