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LETTRE D’ABÊLARD AUX TIERCES DU PARACLET. 4H

de la source, est supérieure à toutes nos anciennes versions. Des versions nouvelles s’étant produites, comme il est écrit dans la loi, les anciennes ont été rejetées. D’où ce mot de Daniel : a Les hommes passeront, et le trésor de la science grandira. » Saint Jérôme a fait, en son temps, ce qu’il a pu. Seul, pour ainsi dire, et n’ayant point de fidèle interprète pour exécuter ce travail sur une langue étrangère, mais seulement un Juif dont le secours lui a été très-utile, comme il l’atteste lui-même, il s’est attiré plus d’une critique, pour avoir pensé que les versions antérieures ne suffisaient pas. Néanmoins il a persisté dans son dessein, et il a triomphé avec l’aide de Dieu, réalisant et accomplissant ce mot de l’Ecclésiastc : « Les fleuves re- viennent vers leur source pour en découler de nouveau. » Les Écritures sont comme la source dont il est parti. Les traductions tiennent bientôt à être repoussées comme inexactes et à perdre tout crédit, dès qu’elles dévient du texte original, dès que l’on ne voit pas qu’elles y ont remonté pour rétablir l’accord avec lui.

Et n’allons pas croire que cet interprète suffise lui-même à to ut.eomme supérieur dans chacune des trois lingues, surtout dans la langue hébraïque où il excellait : écoutons plutôt son propre témoignage qui nous interdit de lui accorder plus de confiance qu’il n’en croit mériter. Yoici ce qu’il écrit, à ce sujet, à Domnion et à Rogatianus, en réponse à un accusateur : « Nous qui avons quelque connaissance de la langue hébraïque, et à qui, dans une cer- taine mesure, la langue latine ne fait pas défaut, nous pouvons mieux juger des textes écrits dans les autres langues et rendre en la nôtre le sens tel que nous l’avons saisi. »

Heureuse l’âme qui, méditant nuit et jour sur la loi du Seigneur, peut étancher sa soif des Écritures à la source même comme à une eau limpide, et qui n’est pas exposée, en suivant des dérivations qui se répandent en sens contraire, à prendre, par ignorance et par impossibilité de faire autrement, un breuvage troublé au lieu d’un breuvage pur, et à rendre ce qu’elle a bu I Depuis longtemps, l’élude des langues étrangères a faibli chez les hommes, et, à force de les négliger, on est arrivé à ne les plus comprendre. Ce que nous avons perdu chez les hommest que les femmes nous le rendent ; que, pour la condamnation des hommes et le jugement du sexe fort, la reine de l’Orient retrouve en vous la sagesse de Salomou. Vous pouvez donner à l’étude d’autant plus de soin que les religieuses ont, moins que les religieux, à s’a- donner aux travaux manuels, et que le repos de l’oisiveté, non moins que la faiblesse du sexe, vous expose à tomber plus facilement en tentation. Aussi le grand docteur que j’ai cité, ce maître si autorisé à vous guider de ses lumières et de ses exhortations, dirige-t-il votre application vers l’étude des lettres par ses conseils non moins que par ses exemples. Il veut qu’ayant un sujet d’apprendre, vos forces ne soient pas sollicitées d’un autre côté ; il craint que, au milieu des occupations du corps, l’âme ne s’échappe, et, in- fidèle à son céleste époux, ne s’abandonne au commerce impur du siècle.