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quelle personne une église sera-t-elle plus justement consacrée qu’à celle à l’œuvre de laquelle sont rapportés tous les bienfaits des grâces de l’Église ? Ce n’est pas qu’en appelant mon oratoire Paraclet, j’aie eu l’intention de le dédier à une seule personne ; je lui ai donné cette appellation pour le motif dont j’ai parlé plus haut, c’est-à-dire en mémoire de la consolation que j’y trouvai. Je veux dire seulement que, si j’avais agi dans les intentions qu’on me suppose, je n’aurais rien fait de contraire à la raison, bien que la chose fût étrangère à l’usage.

XIII. Cependant, tandis que j’étais, de corps, caché en ce lieu, ma renommée parcourait le monde et le remplissait de ma parole, comme ce personnage de la fable appelé Écho, sans doute parce qu’il est doué d’un organe puissant, bien qu’il n’y ait rien dessous. Mes anciens rivaux ne se sentant plus par eux-mêmes assez de crédit, suscitèrent contre moi de nouveaux apôtres en qui le monde avait foi. L’un d’eux se vantait d’avoir fait revivre les principes des chanoines réguliers ; l’autre, ceux des moines. Ces hommes, dans leurs prédications à travers le monde, me déchirant sans pudeur de toutes leurs forces, parvinrent à exciter momentanément contre moi le mépris de certaines puissances ecclésiastiques et séculières, et à force de débiter, tant sur ma foi que sur ma vie, des choses monstrueuses, ils réussirent à détacher de moi quelques-uns de mes principaux amis ; quant à ceux qui me conservaient quelque affection, ils n’osaient plus me la témoigner. Dieu m’en est témoin je n’apprenais pas la convocation d’une assemblée d’ecclésiastiques, sans penser qu’elle avait ma condamnation pour objet. Frappé d’effroi, et comme sous la menace d’un coup de foudre, je m’attendais à être, d’un moment à l’autre, traîné comme un hérétique ou un impur dans les conciles ou dans les synagogues. S’il est permis de comparer la puce au lion, la fourmi à l’éléphant, mes rivaux me poursuivaient avec la même animosité que jadis les hérétiques avaient fait Athanase. Souvent, Dieu le sait, je tombai dans un tel désespoir, que je songeais à quitter les pays chrétiens pour passer chez les infidèles, et à acheter, au prix d’un tribut quelconque, le droit de vivre chrétiennement parmi les ennemis du Christ. Je me disais que les païens me feraient d’autant meilleur accueil, que l’accusation dont j’étais l’objet les mettrait en doute sur mes sentiments chrétiens, et qu’ils en concevraient l’espérance de me convertir aisément à leur idolâtrie.

XIV. Sous le coup de ces attaques incessantes, je ne voyais plus d’autre parti que de me réfugier dans le sein du Christ, chez les ennemis du Christ, quand au moment où je trouvais une occasion de me soustraire aux embûches, je tombai entre les mains de chrétiens et de moines mille fois plus cruels et pires que les gentils.

Il y avait en Bretagne, dans l’évêché de Vannes, une abbaye de Saint-Gildas-de-Ruys, que la mort du pasteur laissait sans chef. Le choix unanime des moines, d’accord avec le seigneur du pays, m’appela à ce siège ; le consentement de l’abbé et des frères de mon couvent ne fut pas difficile à obte-