Page:Abelard Heloise Cousin - Lettres I.djvu/281

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le zèle de sa charité pour elles est parfois si grand, qu’il semble franchir les bornes de la vérité dans ses éloges, comme s’il avait éprouvé lui-même ce qu’il dit ailleurs : « La charité n’a pas de mesure. » C’est ainsi qu’au début de la vie de sainte Paule, il s’écrie, comme pour captiver l’attention du lecteur : « Alors même que tous mes membres se changeraient en langues et que toutes les parties de mon corps parleraient le langage des hommes, je ne saurais rien dire qui fût digne des vertus de la sainte et vénérable Paule. » Cependant il a écrit aussi les Vies de certains Pères vénérables, qui brillent de tout l’éclat des miracles, et dans lesquelles se trouvent des prodiges bien plus étonnants ; mais il n’est personne qu’il paraisse exalter aussi haut que cette veuve. D’autre part, dans une lettre à la vierge Démétriade, tel est l’éloge dont il marque son entrée en matière, qu’il semble tomber dans une flatterie excessive. « De tous les sujets que j’ai abordés, dit-il, depuis mon enfance jusqu’à ce jour, soit de ma main, soit en m’aidant de la main de mes secrétaires, celui que j’entreprends de traiter aujourd’hui est le plus difficile : il s’agit d’écrire à Démétriade, vierge du Christ, qui tient dans Rome le premier rang et par sa noblesse et par ses richesses ; si je veux rendre justice à toutes ses vertus, je risque de passer pour un flatteur. »

C’était sans doute, pour le saint homme, une tâche bien douce d’encourager par quelque artifice de parole le sexe faible dans l’exercice austère de la vertu. Mais les actes sont, en telle matière, des preuves plus sures encore que les paroles. Or, il a entouré ces pieuses femmes d’une prédilection si marquée, que cette prédilection, malgré sa sainteté incomparable, n’a pas laissé d’imprimer une tache à sa réputation. Il nous le fait connaître lui-même dans sa lettre à Asella, en parlant de ses faux amis et de ses détracteurs. « Il en est qui me regardent comme un criminel couvert de toutes les ignominies, dit-il ; vous faites bien, néanmoins, de considérer comme bons ces méchants, en les jugeant d’après votre conscience. Il est dangereux de juger le serviteur d’autrui ; qui calomnie le juste sera difficilement pardonné. J’en ai connu qui me baisaient les mains et qui, par derrière, me déchiraient avec une langue de vipère. Ils me plaignaient du bout des lèvres ; au fond du cœur, ils se réjouissaient. Qu’ils disent s’ils ont trouvé en moi d’autres sentiments que ceux d’un chrétien. On ne me reproche que mon sexe, et l’on ne songerait pas à me le reprocher, si Paule ne venait à Jérusalem. » Et encore : « Avant que je connusse la maison de sainte Paule, c’était sur mon compte, dans la ville entière, un concert de louanges. Il n’y avait qu’une voix pour me reconnaître digne du pontificat. Mais du jour où, pénétré du mérite de cette pieuse femme, j’ai commencé à lui rendre hommage, à la fréquenter, à la prendre sous ma tutelle, de ce jour-là toutes les vertus m’ont abandonné. » Et quelques lignes plus bas : « Saluez, dit-il, Paule et Eustochie ; quoi qu’on dise, elles sont à moi en Jésus-Christ. » Nous lisons que la familiarité que le Seigneur témoigna à la bien-