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Quant à l’Éthiopienne, si elle a le teint noir et parait, à juger par le dehors, moins belle que les autres femmes, elle ne leur cède en rien par les beautés intérieures ; elle est même plus blanche et plus belle en plus d’une partie, les os, par exemple, et les dents. La blancheur de ses dents est vantée par l’époux lui-même, qui dit : « et ses dents sont plus blanches que le lait. » Elle est donc noire au dehors, mais au dedans elle est belle. C’est la multitude des adversités et des tribulations dont son corps est affligé dans cette vie, qui noircissent la surface de sa peau, selon la parole de l’Apôtre : « Tous ceux qui veulent vivre pieusement en Jésus-Christ souffriront des tribulations. » En effet, comme le blanc est l’emblème du bonheur, de même on peut dire que le noir représente l’adversité. Mais au dedans, elle est blanche jusque dans la moelle des os, parce que son âme est riche de vertus, ainsi qu’il est écrit : « Toute la gloire de la fille du Roi vient du dedans. » En effet, ses os, qui sont au dedans, recouverts au dehors par la chair dont ils sont le soutien et l’appui, la force et la vigueur, ne sont-ils pas la parfaite expression de l’âme qui vivifie le corps où elle réside, le soutient, le fait mouvoir, le gouverne et lui communique sa puissance ? Et sa blancheur et sa beauté, ne sont-ce pas les vertus dont elle est ornée ? Si elle est noire à l’extérieur, c’est, d’après la même raison, parce que, pendant la durée de son exil et de son pèlerinage sur cette terre, elle vit dans l’abjection et l’humilité, jusqu’au jour où, appelée à cette autre vie qui est cachée avec Jésus-Christ dans le sein de Dieu, elle entre en possession de sa patrie. Le soleil de la vérité change son teint, c’est-à-dire que l’amour du céleste époux l’humilie et l’accable de tribulations douloureuses, de peur que la prospérité ne l’enorgueillisse. Il change son teint, c’est-à-dire qu’il la rend différente des autres femmes qui aspirent aux biens de la terre et cherchent la gloire du monde, afin qu’elle devienne, par son humilité, le véritable lis des vallées, non pas le lis des montagnes, comme ces vierges folles qui, toutes glorieuses de leur pureté charnelle et de leur continence extérieure, sont intérieurement brûlées par le feu des tentations. C’est à bon droit que s’adressant aux filles de Jérusalem, c’est-à-dire à ces fidèles imparfaits qui méritent plutôt le nom de filles que celui de fils, elle leur dit : Ne considérez pas que je suis brune et que le soleil a changé mon teint. » C’est comme si elle eût dit clairement : si je m’humilie ainsi, si je supporte avec ce courage toutes les épreuves, ce n’est pas un effet de ma vertu, c’est par la grâce de celui que je sers.

Tout autre est la conduite des hérétiques ou des hypocrites, qui, dans l’espérance de jouir des gloires de ce monde, font montre, tant qu’ils sont sous les regards des hommes, de s’humilier profondément et de supporter de vaines épreuves. Humilité, épreuves qui nous étonnent. Quelle vie, en effet, plus misérable que celle de ces hommes qui n’ont part ni aux biens de la terre ni à ceux du ciel ! Aussi est-ce dans cette vue que l’épouse dit : « Ne vous étonnez pas que j’agisse ainsi. » Ce dont il faut s’étonner, c’est de