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Pour des hommes surpris dans le plus coupable adultère, le supplice que tous avez subi aurait été une peine assez grande. Et ce que les autres mentent pour l’adultère, vous l’avez encouru, vous, par le mariage où vous aviez cherché avec confiance une réparation de tous vos torts. Ce que les femmes adultères attirent à leurs complices, c’est votre légitime épouse qui vous l’a attiré ; et cela, non pas lorsque nous nous livrions aux plaisirs d’autrefois, mais quand, déjà momentanément éloignés l’un de l’autre, nous vivions dans la chasteté, vous à Paris, à la tête des écoles ; et moi, selon vos ordres, à Argenteuil, dans la compagnie des religieuses ; quand nous nous étions ainsi séparés, afin de pouvoir nous livrer avec plus de zèle et de liberté, vous a la direction des écoles, moi à la prière et à la méditation des livres saints : oui, c’est pendant que nous menions cette vie aussi sainte que pure, que vous avez payé seul dans votre corps un péché qui nous était commun. Nous avions été deux pour la faute, vous avez été seul pour le châtiment ; vous étiez le moins coupable, et c’est vous qui avez porté la peine entière. En effet, ne deviez-vous pas avoir d’autant moins à craindre de la part de Dieu, comme de la part de ces traîtres, que vous aviez donné plus largement satisfaction en vous abaissant pour moi, en m’élevant moi et toute ma famille ?

IV. Malheureuse que je suis, d’être venue au monde pour être la cause d’un si grand crime ! Les femmes seront donc toujours le fléau des grands hommes ! Voilà pourquoi il est écrit dans les Proverbes, afin qu’on se garde de la femme : « Maintenant, mon fils, écoute-moi, et sois attentif aux paroles de ma bouche. Que ton cœur ne se laisse pas entraîner dans les voies de la femme ; ne t’égare pas dans ses sentiers ; car elle en a renversé et fait tomber un grand nombre : les plus forts ont été tués par elle. Sa maison est le chemin des enfers, elle conduit aux abîmes de la mort. » Et dans l’Ecclésiaste : « J’ai considéré toute chose avec les yeux de mon âme, et j’ai trouvé la femme plus amère que la mort ; elle est le filet du chasseur ; son cœur est un piège, ses mains sont des chaînes : celui qui est agréable à Dieu lui échappera, mais le pécheur sera sa proie. »

Dès l’origine du monde, la première femme a fait bannir l’homme du paradis terrestre ; et celle qui avait été créée par le Seigneur pour lui venir en aide a été l’instrument de sa perte. Ce puissant Nazaréen, cet homme du Seigneur dont un ange avait annoncé la naissance, c’est Dalila seule qui l’a vaincu ; c’est elle qui le livra à ses ennemis, le priva de la vue et le réduisit à un tel désespoir, qu’il finit par s’ensevelir lui-même sous les ruines du temple avec ses ennemis. Le sage des sages, Salomon, ce fut la femme à laquelle il s’était uni qui lui fit perdre la raison et qui le précipita dans un tel excès de folie, que lui, que le Seigneur avait choisi pour bâtir son temple, de préférence à David, son père, qui pourtant était juste, il tomba dans l’idolâtrie et y resta plongé jusqu’à la fin de ses jours : infidèle au culte du vrai Dieu, dont il avait, par ses écrits, par ses discours, célébré la gloire et