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ciples aussi, Albéric de Reims et Lotulfe de Lombardie, vous ont poursuivi. Vous n’avez oublié ni ce que leurs cabales ont fait de votre glorieux ouvrage de théologie, ni ce qu’elles ont fait de vous-même, condamné à une sorte de prison. De là vous arrivez aux menées de votre abbé et de vos perfides frères, aux affreuses calomnies de ces deux faux apôtres déchaînés contre vous par ces indignes rivaux, au scandale soulevé dans la foule à propos du nom de Paraclet donné, contre l’usage, à votre oratoire ; enfin, arrivant aux vexations intolérables dont votre vie aujourd’hui encore n’a pas cessé d’être l’objet, de la part de ce persécuteur impitoyable et de ces méchants moines que vous appelez vos enfants, vous avez mis le dernier trait à ce déplorable tableau.

Je doute que personne puisse lire ou entendre sans pleurer le récit de telles épreuves. Pour moi, il a renouvelé mes douleurs avec d’autant plus de violence que le détail en était plus exact et plus expressif ; que dis-je ? il les a augmentées en me montrant vos périls toujours croissants. Voilà donc tout votre troupeau réduit à trembler pour votre vie, et chaque jour nos cœurs émus, nos poitrines palpitantes attendent pour dernier coup la nouvelle de votre mort.

Aussi nous vous en conjurons, au nom de celui qui, pour son service, semble encore vous couvrir de sa protection ; au nom du Christ, dont nous sommes, ainsi que de vous-même, les bien petites servantes, daignez nous écrire fréquemment et nous dire les orages au sein desquels vous êtes encore ballotté ; que nous du moins, qui vous restons seules au monde, nous puissions partager vos peines et vos joies. D’ordinaire, la sympathie est un allégement à la douleur, et tout fardeau qui pèse sur plusieurs est plus léger à soutenir, plus facile à porter. Que si la tempête vient à se calmer un peu, hâtez-vous d’autant plus d’écrire que les nouvelles seront plus agréables à recevoir. Mais, quel que soit l’objet de vos lettres, elles ne peuvent manquer de nous faire un grand bien, par cela seul qu’elles seront une preuve que vous ne nous oubliez pas.

II. Combien sont agréables à recevoir les lettres d’un ami absent, Sénèque nous l’enseigne par son propre exemple dans le passage où il écrit à Lucilius : Vous m’écrivez souvent, et je vous en remercie ; vous vous montrez ainsi à moi de la seule manière qui vous soit possible ; je ne reçois jamais une de vos lettres qu’aussitôt nous ne soyons ensemble. Si les portraits de nos amis absents nous sont doux, s’ils ravivent leur souvenir, et, — vaine et trompeuse consolation,— allègent le regret de leur absence, combien plus douces sont les lettres qui nous apportent l’empreinte véritable de l’ami absent. » Grâce à Dieu, ce moyen vous reste encore de nous rendre votre présence ; l’envie ne vous l’interdit pas ; rien ne s’y oppose : que ce ne soit point de vous, je vous en supplie, que viennent les négligences et les retards.

Vous avez écrit à votre ami une longue lettre de consolation, en vue de ses malheurs sans doute, mais c’est des vôtres que vous lui parlez. Tandis