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à lui-même. » Et plus haut, citant l’Apôtre : « Cherchons à faire le bien, dit-il, non-seulement devant Dieu, mais devant les hommes. Pour nous, c’est assez du témoignage de notre conscience ; pour les autres, il importe que notre réputation ne soit pas souillée et qu’elle brille sans tache. La conscience et la réputation sont deux choses : la conscience est relative à soi-même, la réputation au prochain. »

Mais la malice de mes ennemis aurait-elle épargne le Christ lui-même ou ses membres, c’est-à-dire les prophètes, les apôtres, les saints Pères, s’ils eussent vécu du même temps, quand ils les auraient vus, le corps intact, vivre dans une familiarité intime avec des femmes ? Saint Augustin, dans son livre sur l’œuvre des moines, prouve que les femmes étaient des compagnes si inséparables du Christ et des apôtres, qu’elles les accompagnaient même dans leurs prédications. « C’est ainsi, dit-il, qu’on voyait avec eux des femmes pourvues des biens de ce monde, qui entretenaient autour d’eux l’abondance, en sorte qu’ils ne manquaient d’aucune des choses nécessaires à la vie. » Et ceux qui seraient tentés de croire que ce n’étaient point les apôtres qui permettaient à ces saintes femmes de les suivre partout où ils portaient l’Évangile, n’ont qu’à ouvrir l’Évangile pour reconnaître qu’ils ne faisaient qu’imiter l’exemple du Seigneur. En effet, il est écrit : « Dès lors, il allait par les cités et les villes, évangélisant le royaume de Dieu ; et avec lui, ses douze apôtres et quelques femmes, qui avaient été guéries d’esprits immondes et d’infirmités : Marie-Madeleine, Jeanne, épouse de Cuza, l’intendant d’Hérode, et Suzanne, et plusieurs autres, qui employaient leurs richesses à pourvoir à ses besoins. » D’autre part, Léon IX, réfutant la lettre de Parménien sur le goût de la vie monastique, dit : « Nous professons absolument qu’il n’est pas permis à un évêque, prêtre, diacre, sous-diacre, de se dispenser, pour cause de religion, des soins auxquels il est tenu envers son épouse, non qu’il lui soit permis de la posséder selon la chair, mais il lui doit la nourriture et le vêtement. » Et ainsi vécurent les saints apôtres. « N’avons-nous pas le droit de mener partout avec nous une femme qui serait notre sœur, de même que les frères du Seigneur et Céphas ? » lisons-nous dans saint Paul. Remarquez bien qu’il ne dit pas : N’avons-nous pas le droit de posséder une femme qui serait notre sœur, mais, de mener ; ils pouvaient, en effet, subvenir aux besoins de leurs femmes avec le produit des prédications, sans qu’il existât entre eux de liens charnels. Certes le pharisien qui dit en lui-même, à propos du Seigneur : « Si celui-ci était prophète, il saurait bien qui est celle qui le touche et que c’est une femme de mauvaise vie. » le pharisien pouvait, sans doute, dans l’ordre des jugements humains, former sur le Seigneur des conjectures honteuses plus naturellement qu’on ne l’a fait sur moi ; et tous ceux qui voyaient la Mère du Christ recommandée à un jeune homme, et les prophètes vivant sous le même toit dans l’intimité de femmes veuves, pouvaient en concevoir des soupçons beaucoup plus vraisemblables. Qu’au-