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DOUZE ANS DE SÉJOUR

sur l’état de santé de mon frère, nous envoyait pour lui, discrètement, un bol de lait chaque jour. Toudjourrah n’est, à proprement parler, qu’un caravansérail servant de débouché au commerce d’esclaves. Son établissement n’annonce aucune de ces précautions nécessaires pour subvenir aux besoins d’une population assise à demeure ; les habitants y sont campés plutôt qu’établis ; ils n’ont presque pas de mobilier ; le chef de famille peut toujours charger sa femme, ses enfants et ses ustensiles sur le dos d’un des chameaux agenouillés à sa porte, et, abandonnant une maison dont la valeur intrinsèque est presque nulle, il peut, dans le plus bref délai, transporter ailleurs ses pénates. Les habitants sont très-sobres ; chaque famille se tient en relations avec des bédouins de l’intérieur qui lui fournissent du beurre fondu et du sorgho ; le blé, le riz et quelques autres objets de consommation n’arrivent que sur commande et par mer ; parfois ils égorgent une chèvre, et de loin en loin un bœuf ou un chameau. On ne trouve à Toudjourrah ni bazar, ni marché de comestibles. Il était donc facile de nous empêcher d’acheter aucune denrée alimentaire.

Deux partis s’étaient formés à notre sujet, et le Sultan oscillait entre eux : l’un voulait maintenir notre exclusion du droit commun, l’autre nous laisser libres de nous joindre à une caravane qui se formait pour le Chawa. Ce dernier parti allait prévaloir, lorsque nos adversaires frétèrent expressément un bateau arabe, et allèrent à Aden prévenir le capitaine Heines qu’ils ne répondaient plus de pouvoir nous empêcher de partir pour le Chawa ; et quelques jours après ; un brick de guerre anglais (the Euphrates) vint stationner à Toudjourrah. La semaine suivante un second brick