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DANS LA HAUTE-ÉTHIOPIE

cet ivrogne, qui voulait à toute force boxer, et vers dix heures du soir, lorsque j’étais sur le point de me coucher sur la voie publique, je parvins à décider une vieille négresse à me louer pour la nuit une hutte à côté de la sienne ; j’obtins même qu’elle nous confiât un pot égueulé contenant une eau équivoque. Je m’accroupis sur mon manteau étendu à terre ; mon petit suivant étala devant moi nos oignons et nos galettes de pain, et, debout, le pot à la main, il assista respectueusement à mon repas. Je lui en abandonnai les restes, et je m’endormis en songeant à l’isolement où je me trouvais au milieu d’Européens comme moi. Le lendemain, en sortant de mon gîte, à la pointe du jour, je me rendis compte de l’atmosphère désagréable dans laquelle j’avais passé la nuit ; ma vieille hôtesse avait élu domicile dans le cimetière juif.

Pour comble d’embarras, je n’avais plus que quelques pièces de menue monnaie. Je songeai à m’embarquer pour Berberah, en donnant pour mon passage, soit mon manteau, soit les garnitures en vermeil de mon sabre ; et dans cette intention j’allais au port, lorsque près d’un petit camp établi en dehors de la ville, un officier m’accosta poliment, en me nommant, et me donna l’adresse d’un capitaine chez lequel mon frère avait dû laisser des instructions pour moi. Il m’exprima en me quittant le regret de ne pouvoir m’être plus utile. Je me rendis aussitôt chez ce capitaine qui me remit de la part de mon frère, une somme d’argent et une lettre, et s’excusa pareillement de ce qu’il ne m’offrait pas l’hospitalité : je devais sentir, disait-il, que malgré le plaisir qu’il aurait à se lier avec moi, il était obligé de céder aux exigences de sa position, comme subordonné du gouverneur, qui, vu l’état actuel de la colonie, désirait que les officiers de la garni-