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DOUZE ANS DE SÉJOUR

péen n’appartenant pas à l’administration civile ou militaire. Il n’y avait pas à songer à retourner à notre brick qui devait remettre à la voile le plus tôt possible. La journée s’avançait, et, mon petit suivant et moi, nous n’avions pris aucune nourriture. Dans une ville arabe, nous eussions, sans que personne y prît garde, pris notre repas à l’étal de quelque revendeur de comestibles ; mais à Aden, les usages arabes n’étaient plus de mise ; la présence d’Européens me rappelait d’ailleurs au sentiment de nos convenances, et il me répugnait de manger sur la voie publique. Nous passâmes l’après-midi à circuler dans les bazars étroits et sales, coudoyant des Juifs indigènes, des Banians, des pélerins persans, indiens et chinois de passage pour la Mecque, des Somaulis, des Sowahalis, des Cipayes, des soldats anglais et quelques Arabes déguenillés, seuls échantillons de leur race qui consentaient à paraître dans Aden.

Vers le soir, des officiers anglais, quelques-uns avec leurs femmes au bras, arpentèrent gravement le lieu de leur promenade habituelle ; il me sembla que quelques-uns me regardaient comme s’ils savaient déjà qui j’étais. Je me remis en quête d’un gîte, mais inutilement. La nuit approchait. J’envoyai enfin mon suivant aux provisions, mais les échoppes étaient fermées, et il ne put trouver que des oignons et du mauvais pain. Un soldat irlandais, à moitié ivre, se sentit pris en ma faveur d’un violent accès d’hospitalité ; il voulait me loger chez sa cantinière et pour s’assurer de mon caractère, il entendait d’abord me faire boire avec lui.

— Car on prétend que tu es notre ennemi, disait-il ; et si cela était !…

— Je ne pus qu’à grand’peine me débarrasser de