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DOUZE ANS DE SÉJOUR

se levait pour le recevoir. La ville respectait ses moindres volontés ; les pauvres l’appelaient le généreux, les ulémas de toutes les mosquées l’appelaient le magnifique ; Kadis et Muftis écoutaient ses conseils ; et dans toutes les villes, les poëtes chantaient sa louange. Il ne se promenait que dans ses vastes jardins. Il avait des fleurs en toute saison, des sources abondantes, beaucoup d’ombre, et il était toujours en santé. On le nommait Hadji Marzawane. Assis un jour dans son divan, il songeait, lorsqu’un serpent parut en criant :

— Protection, protection, au nom d’Allah !

— Au nom d’Allah et du prophète, je te donne ma protection, dit Marzawane. Mais d’où viens-tu ? qui es-tu ?

— Je suis poursuivi par les soldats de Sa Hautesse ; ils vont arriver. Cache-moi.

Marzawane lui dit de se blottir derrière les coussins de son divan.

— Non, dit le serpent, on m’a vu entrer ici, et fussé-je enroulé dans les cheveux de ta favorite, mes ennemis m’y découvriraient. Écoute ; les voilà qui approchent. Si tu ne veux offenser Allah et son prophète, tu n’as qu’un moyen : Ouvre ta bouche, que je me cache dans ta poitrine.

Marzawane recula d’horreur ; mais la voix des soldats montait de plus en plus.

— Soit, dit-il, puisque tu es venu au nom du Miséricordieux !

Le serpent disparaissait dans la gorge de son hôte, lorsque ses poursuivants entrèrent en criant :

— Où est le traître ? Malheur à ceux qui couvrent l’ennemi du Sultan !

Marzawane leur dit que l’ennemi du Padichah était le sien ; que sa maison était vaste, qu’on pouvait s’y