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DANS LA HAUTE-ÉTHIOPIE

chef avait eu l’obligeance d’exempter les pèlerins de toute avanie.

La nuit était déjà avancée, lorsque j’accompagnai ce digne religieux jusqu’à l’endroit où campaient les trafiquants. Il me donna sa bénédiction avec une émotion visible, et il partit le lendemain pour Moussawa avec la caravane.

Ce moine vivait depuis plusieurs années dans une solitude de la province de Waldoubba, où il s’était acquis une grande réputation de sainteté, lorsqu’il crut, dans une extase, recevoir du ciel l’ordre d’aller attendre sa dernière heure à Jérusalem ; et il s’était rendu à Aksoum pour y prendre au passage quelque caravane descendant à la mer. Le Dedjadj Oubié, instruit de sa présence en Tegraïe, l’avait amené à lui faire visite et lui avait offert une somme d’argent pour le défrayer de son voyage en Terre-Sainte.

— Que Dieu vous en tienne compte, seigneur, lui avait répondu le religieux, mais avant d’accepter cet argent, il me faudrait le passer au van de la justice, pour ne point devenir le complice des rapines et des violences qui l’ont amassé en vos mains ; et Dieu seul peut ainsi vanner les trésors des grands de la terre.

De pareils refus faits en termes analogues, ne sont pas rares en Éthiopie, et les princes ne s’en offensent nullement, tant ils sentent que leur puissance est peu légitime. À la fin de l’entretien, le Dedjazmatch, selon la coutume, lui ayant demandé sa bénédiction, le digne religieux lui avait représenté que pour la rendre efficace, il devait accomplir quelque acte de clémence ou de pardon ; et c’est ainsi que le moine avait obtenu du Dedjadj Oubié qu’il élargît deux seigneurs de l’Agamé, retenus dans les fers depuis sa victoire sur le Dedjadj Kassa, et qu’il cessât de me tenir rigueur.