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DANS LA HAUTE-ÉTHIOPIE

— Je viens savoir, dit-il, ce qu’a aujourd’hui Monseigneur, qu’il a renvoyé sans y toucher son déjeuner ?

— C’est Mikaël qui l’a ainsi voulu, dit Birro. Je resterai jusqu’au dîner sur un burilé d’hydromel et un bout de grillade que j’ai pris ce matin ; quand il aura faim, nous mangerons tous ensemble.

Comprenant alors la faute que j’avais faite, je m’empressai de mettre mon appétit à sa disposition.

— Vous autres, là-bas ! s’écria-t-il, qu’on nous serve !

Quand il eut mangé, il distribua de sa main aux soldats ce qui restait de la panerée ; et le boire se prolongea au milieu de conversations animées.

Mes gens furent logés chez des notables, et l’on dressa pour moi une tente à côté de la hutte du Prince.

— Fils de ma mère, me dit-il, je sais que tu n’aimes pas dormir comme nous côte à côte avec tes amis ; tu seras seul quand tu le voudras, mais il faut que tu soies assez près pour que je puisse m’assurer que tu dors en paix. Si des rêves omineux viennent te troubler, moi, ton frère, je serai là, auprès de toi ; et quand les soucis chasseront mon sommeil, j’irai me rasséréner à tes côtés.

Je passai ainsi quelques semaines dans l’intimité orageuse de ce Dedjazmatch. La nuit, il m’appelait ou venait me réveiller pour m’entretenir de ses regrets, de ses craintes ou de ses espérances : il me disait qu’il voulait tourner son père contre le Ras, dont il redoutait de devenir captif, et il me demandait mon avis sur la fidélité de tel ou de tel de ses chefs. Il parlait religion, philosophie, guerre, poésie, chasse, médecine ; d’amour fort peu. À deux ou trois heures du matin, il prétendait quelquefois que nous avions faim et il ordonnait