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DOUZE ANS DE SÉJOUR

ramener les schismatiques, il s’adonnerait à l’étude de l’amarigna et du guez ou langue sacrée, tout en s’appliquant à se concilier le bon vouloir des habitants. Nous partageâmes nos ressources avec cet agréable compagnon, et nous le quittâmes à regret ; dès lors, notre route se bifurqua pour toujours. Quelques mois après, mon frère arrivait à Rome, et la Congrégation des Lazaristes, autorisée par la Propagande, adjoignait d’autres missionnaires au Père Sapeto, pour continuer la mission en Tigraïe et en pays Amhara.

La journée était avancée lorsque nous quittâmes le camp du Prince. Ayant reconnu les inconvénients de nombreux bagages, nous les avions réduits à ce que nous pensions être le strict nécessaire ; nous avions fait présent de nos deux tentes, et à l’exception des instruments d’astronomie de mon frère, tout était renfermé dans des outres de peau de chèvre, plus commodes à transporter et attirant moins l’attention que les malles ou les coffres. Nous n’avions plus que vingt suivants environ, tant porteurs que serviteurs. Le soldat d’Oubié nous faisait héberger chaque soir ; à cet effet, il nous précédait de quelques centaines de mètres et s’enquérait auprès des paysans occupés aux champs, du nom du chef de la localité. Parfois, ceux-ci, devinant ses intentions, tiraient du pied ; il les poursuivait, atteignait les moins lestes, et l’on riait de part et d’autre ; mais ces débuts nous pronostiquaient ordinairement maigre chère. Nos porteurs déposaient leur charge sur le chango ou place du village : c’est le forum éthiopien, le lieu où se discutent les intérêts publics et privés ; villes, bourgs, villages, les plus petits hameaux ont le leur. Notre soldat parcourait le village, annonçant à haute