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DOUZE ANS DE SÉJOUR

dommage de s’aliéner un si charmant homme en l’obligeant ! » Il avait une religion sincère et bien entendue, et il faisait secrètement d’abondantes aumônes. Son fils unique le chagrinait par sa nullité et son inconduite, et, malgré sa grande dévotion pour les femmes, il n’était pas mieux traité par elles que par les hommes. Il protégeait assidûment le clergé, mais n’en recueillait qu’indifférence ; à la fin, il perdit la vie dans une échauffourée, en voulant empêcher une bande de nos soldats d’exercer indûment le droit d’hébergement dans un petit domaine ecclésiastique ; la guerre régnait alors, et le meurtrier put s’échapper impuni. Le Prince fit fouetter un page pour avoir répété quelques plaisanteries qu’on faisait sur cette mort ; cela intimida les railleurs, et quoique au fond tous le plaignissent sincèrement, le nom même du malheureux sénéchal ne fut bientôt plus prononcé. On ne put jamais le remplacer.

Les douze jours que nous passâmes aux sources thermales forment une des périodes les plus sereines et les plus riantes de ma vie en Éthiopie. Au fond d’une gorge profonde et précipitueuse, formée par deux longues culées ou éperons du woïna-deuga, un bassin d’environ quatre mètres de large, creusé naturellement dans le roc, laissait sourdre des eaux d’une température assez élevée, qui se déversaient dans un ruisseau voisin, en traversant deux bassins plus petits. Nos gens y avaient construit un grand hangar, coupé par une cloison de nattes en deux parties inégales. La plus petite, tapissée partout d’un chaume épais, contenait le grand bassin thermal ; l’autre, tapissée de verdure et de fleurs qu’on renouvelait chaque jour, formait l’appartement du Prince et notre lieu de réunion. Une quarantaine de huttes, perchées çà et là, sur les