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DOUZE ANS DE SÉJOUR

tout sens ; avant de figurer devant la justice, il subit ainsi comme une instruction permanente dont il lui est bien difficile d’éluder la clairvoyance ; car comme toute maladie violente, le mensonge a ses trèves et ne saurait empêcher complètement la vérité de transparaître. Ceux qui le fréquentent apprennent l’indulgence et la pitié pour celui qui a failli et comment la plus légère déviation du bien peut conduire insensiblement aux plus grands écarts. On voit souvent un coupable pleurer en écoutant ses consolateurs, et ceux-ci se retirer en disant : « Ô évolutions de la conduite humaine ! Que Dieu nous épargne l’épreuve des positions difficiles ! » Les détenus politiques qu’un Dedjazmatch a l’intention de recevoir à résipiscence sont gardés à tour de rôle par les chefs de confiance, à la table desquels ils sont presque toujours admis. Souvent il arrive que ces gardiens obtiennent la libération du prisonnier en se portant caution pour lui. Quant à ceux dont la captivité doit être prolongée indéfiniment, ils sont relégués dans un montfort ou autre lieu fortifié par la nature, où il est rare qu’on leur refuse de faire venir auprès d’eux leur femme, leurs enfants en bas âge et quelques serviteurs ; en ce cas, ils demandent ordinairement à ce qu’on remplace leur compagnon de chaîne par des fers aux pieds. Il n’est pas rare que les prisonniers s’échappent des mains des seigneurs et même des montforts les mieux gardés. Il semble que, même du temps des empereurs, il n’ait jamais existé de prison proprement dite, autre que les montforts ; de même que dans l’antiquité, quoique les grandes maisons aient encore leur ergastule ou cachot pour les esclaves et pour les enfants.

Le Prince se fit remettre les armes et le cheval