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DANS LA HAUTE-ÉTHIOPIE

Et Birro s’en alla grommelant :

— Voilà bien mon père ! Indulger un vieux fripier d’intrigues comme ça !

Le Dedjazmatch fit monter le Chalaka sur un des chevaux d’escorte, et le pauvre homme, dont la contenance, dans cette extrémité, avait été très-digne, put se tenir à portée de son protecteur.

Cependant, les derniers tumultes qui accompagnent l’agonie d’une bataille s’apaisaient. Nos hommes, chargés de butin, descendaient du plateau, poussant devant eux les servantes et les serviteurs de l’ennemi, et l’on emportait nos blessés et nos morts dans la direction du camp qui nous attendait dans la plaine subjacente. En traversant un champ d’orge, nous vîmes sur les épis foulés un blessé couché au milieu de cadavres.

C’était un bel homme dans la force de l’âge ; une blessure à la poitrine et une affreuse mutilation le retenaient à terre. Il se releva avec effort sur son coude, et s’écria :

— Monseigneur ! Que Monseigneur ne passe pas sans s’attrister sur moi ! Je suis un de ses hommes, un de ses bons liges. Qu’il voie plutôt : j’ai donné mon corps pour lui, et mon âme s’en va. Que Monseigneur entende ce que j’ai à dire, au nom de saint Michel et de Notre-Dame !

— Il n’a donc personne pour le relever ! dit le Dedjazmatch.

Et il continua son chemin.

Le mourant voyant son seigneur passer sans l’écouter, nous enveloppa tous d’un regard effaré ; ses lèvres remuèrent encore, mais on ne l’entendit plus.

Des nuages noirs s’entassaient dans le ciel. En