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DANS LA HAUTE-ÉTHIOPIE

cavalier, de peu de besoins, d’une sobriété merveilleuse et naturellement porté à la vie militaire par ses qualités comme par ses défauts. Il fuit d’instinct toutes les entraves, et autant il redoute la compression inexorable des grands entassements de combattants, autant il se déploie et joue allégrement sa vie dans les combats moins en disproportion avec son individualité.

Le combat qu’il préfère à tous, parce qu’il est plus libre d’y développer sa personnalité, est celui où l’insuffisance du terrain ou d’autres circonstances portent les chefs à n’engager qu’une partie de leurs forces. Il aime à voir les escarmoucheurs des deux armées s’épier et s’aborder en vociférant leurs thèmes de guerre. Il jette joyeusement sa toge pour revêtir quelque ornement de combat, quelque oripeau d’apparat, et se mêler aux lignes largement espacées qui s’entre-suivent et se relèvent à l’attaque. Il aime à comprendre la raison des évolutions des deux partis, à pouvoir juger des coups, à savoir sous quelle main les victimes tombent, à choisir parmi les ennemis pour venger leur mort, à conformer ses mouvements aux instincts qui illuminent ses compagnons, et à sentir le sol frémissant sous des charges de cavalerie qui viennent, comme par raffales, changer subitement la configuration du combat. Il aime à entendre, au milieu des pétillements de la fusillade, les hourras, les cris, les défis, les injures, les encouragements, les allocutions, la voix perçante des trouvères, et les sons cadencés des flûtes alternant avec les mâles et lugubres gémissements des trompettes, à savoir enfin que sur les collines, derrière leurs timbaliers battant la charge sur place, les deux chefs rivaux et les deux armées le suivent des yeux, et qu’il peut d’un moment à l’autre retourner vers son seigneur, et, jetant