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DANS LA HAUTE-ÉTHIOPIE

pillage du camp ; leur cavalerie ramasse les piétons en fuite et engage avec les fuyards à cheval des combats qui font parfois plus de victimes que la bataille même. Quelque bande de rondeliers, profitant de la confusion, s’éloignera du champ de bataille, mais ordinairement elle tombe aux mains des paysans, qui ont l’habitude de garder les passages sur les derrières des armées prêtes à en venir aux mains ; néanmoins il échappe toujours des groupes de cavaliers, d’une défaite même complète. Lorsqu’on connaît les localités, on peut, avec de la résolution et un peu de chance, décourager les poursuivants et se dégager des paysans, qui se montrent presque toujours impitoyables. Il arrive aussi que les prisonniers mal gardés se retournent contre leurs capteurs et ressaisissent la victoire. Enfin, il est aisé de se figurer à combien de péripéties donnent lieu deux armées de 30 à 40,000 hommes chacune, se débattant dans un même hasard. Il est bon d’ajouter que sur le champ de bataille, à ces moments de crise, durant lesquels malheureusement les soldats de tout pays peuvent se livrer impunément à des actes de cruauté gratuite, ces actes sont peu communs parmi les soldats éthiopiens, et les traits de générosité fort nombreux. Il est consolant de voir que ceux-là même dont la profession est de tuer l’homme, s’exposent très-fréquemment pour lui sauver la vie. Ils le font avec simplicité, et ils ont ordinairement cette pudeur virile, qui leur fait dédaigner, de la part de ceux qu’ils ont sauvés, ces démonstrations verbeuses dont le moindre inconvénient est d’user la reconnaissance. Un mot, un serrement de main, un geste même leur suffit. D’ailleurs le sauvé d’aujourd’hui peut devenir le sauveur du lendemain.