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DOUZE ANS DE SÉJOUR

parmi mes sauveurs, et je désire le remercier cette fois.

En deux mots, il raconta aux assistants à quel heureux hasard il devait d’avoir échappé aux Gallas ; puis il vint me saluer et s’en alla.

L’armée marcha encore deux jours, de façon à faire croire à l’ennemi que nous allions repasser l’Abbaïe ; mais, faisant volte-face, nous remontâmes sur un woïna-deuga, dans l’espoir que les habitants, nous ayant vus descendre vers l’Abbaïe, auraient ramené leurs troupeaux, qu’à notre première approche ils avaient mis en sûreté dans un quartier éloigné. Notre stratagème ne nous réussit qu’imparfaitement.

Non loin de là, se trouvait un monument monolithe, célèbre par la vénération dont il était l’objet chez les Gallas. Les traditions gojamites l’attribuaient au conquérant Ahmed Gragne. Selon les unes, Gragne poursuivant les débris de l’armée impériale jusqu’en Liben, pays alors chrétien, qui faisait partie du Grand Damote, après avoir fait incendier les églises, dressa ce menhir ou pierre fichée, pour indiquer le kibleh ou direction de la Mecque ; selon d’autres, il la planta comme borne d’une de ses courses victorieuses ; selon d’autres enfin, c’était une pierre tumulaire marquant le lieu où un de ses favoris était tombé en combattant. Ces traditions s’étaient converties chez les Gallas en superstitions grossières qui les portaient à vénérer cette pierre, à lui faire, à certaines époques de l’année, des onctions de beurre, de graisse et de parfums, et à y accomplir des tauroboles et même, dit-on, des sacrifices humains. Le Dedjazmatch crut de son devoir de chrétien de détruire ce monument d’idolâtrie ; sa vanité se trouvait d’ailleurs flattée de