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DOUZE ANS DE SÉJOUR

Des trois hommes poursuivis par les Gallas, l’un mortellement blessé au mollet, et un autre le ventre ouvert, gisaient à terre ; le troisième avait eu le bonheur d’échapper à plusieurs javelines qu’on lui avait lancées, et qui, fichées dans le sol de distance en distance, jalonnaient la ligne en zig-zag qu’il avait suivie dans sa fuite. Un quatrième, que nous n’avions point vu, était sans vie et affreusement mutilé à côté d’un feu sur lequel fumaient des grillades. Les deux blessés nous suppliaient de ne point les abandonner ; mais notre position s’aggravait d’instant en instant. Les Gallas surgissaient déjà en nombre sur les crêtes du deuga dominant la droite de notre route vers l’armée ; ils pouvaient nous compter ; notre arrière-garde devait être loin, et pour la rejoindre, nous avions à suivre un terrain buissonneux, favorable aux surprises. Le soldat blessé au mollet cessa brusquement ses supplications, roidit ses membres et expira. L’autre criait :

— Ô fils d’hommes, au nom de la Vierge, ne me laissez pas ici ; en moi vous rachèterez vos âmes ; saint Georges veillera sur vous jusqu’au camp !

Un d’entre nous fit observer que ce serait une belle prouesse que d’empêcher l’ennemi de mutiler le mort et d’achever le blessé ; et vite, de sa ceinture, on lui fit un bandage pour contenir ses entrailles, puis on l’attacha en selle ; le corps de son compagnon fut mis en travers sur un autre cheval. Mais cela nous avait fait perdre quelques minutes.

Nous partîmes, en appuyant notre gauche le long du ravin. Ma carabine et celle d’un de nos compagnons, nommé Abba-Boulla, étant les seules armes à feu de notre troupe ; on nous mit en tête, comptant sur l’effet que produirait la vue de ces