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DOUZE ANS DE SÉJOUR

soldats debout, en armes, éclairés par les flammes dansantes du bivac, suivant attentivement la voix vibrante de cet étrange harangueur. On lui cria d’attendre. Avant qu’il eût achevé, un vieillard d’apparence chétive se présenta en disant :

— Ô Guoscho ! c’est moi qui suis le père.

Le Prince le questionnait, lorsque soudain la lune reparaissant, le harangueur poussa un hurlement de guerre qu’il termina par un ricanement, et nous entendîmes le bruissement des branches qu’il froissait dans sa fuite. À distance, il nous cria :

— Traîtres Gojamites ! vos carabines attendaient la lune, n’est-ce pas ? Gardez le vieillard : faites-en ce que vous voudrez ; mais il ne vous servira pas d’appeau. Venez donc un peu ici, javeline à javeline.

Le Prince fit sortir une troupe avec un homme criant dans la langue des Gallas :

— Assurance ! voici le prisonnier.

Celui-ci criait également, mais en vain. Ils furent assaillis par des projectiles, et, malheureusement, trois ou quatre des nôtres rentrèrent blessés. Le pauvre vieillard tremblait en reparaissant devant le Prince, qui lui dit :

— Nous valons mieux que vous autres ; va-t’en, si tu veux.

Le vieillard se prosterna ; puis, s’arrêtant un instant à l’issue du camp pour s’annoncer à ses compatriotes, il disparut dans les fourrés. L’ennemi nous cria :

— À la bonne heure ! Maintenant reprenons la grande affaire.

Et quelques javelots vinrent de loin se ficher entre nos huttes, mais ce fut la fin des hostilités pour cette nuit-là.