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DOUZE ANS DE SÉJOUR

comme perdue au fond de cet immense ravin capable d’avoir servi à l’écoulement des eaux d’un déluge. Les berges gigantesques sont arides, brûlées, poudreuses, dépourvues de sources, clairsemées de broussailles et d’arbres épineux dont l’avare feuillage ne donne qu’une dentelle d’ombre. Cette gorge serait étouffante de chaleur, si quelques brises ne s’y engouffraient parfois ; car lorsque le soleil y plonge, il devient presque impossible de rester debout sur les galets, tant ils brûlent la plante des pieds.

Le gué reconnu, toute la journée du lendemain fut employée au passage de l’armée ; plusieurs hommes furent enlevés par les crocodiles, fort nombreux dans le fleuve.

Comme on sait, l’Abbaïe, dès sa sortie du lac Tsana, enceint le Gojam et le Damote et en fait comme une presqu’île au milieu des terres. Son lit, encaissé presque partout profondément, reçoit toutes les eaux pluviales et tous les cours d’eau. Presque nulle part, le long de ses rives, il ne féconde des moissons ; les riverains ne connaissent de lui que des maladies endémiques et des désastres. De même que le Takkazé, il semble recueillir ses trésors, et, comme un larron, cachant son cours dans des profondeurs, il va les déverser sur les terres de la Nubie et de l’Égypte. Du reste, à l’exception de quelques petites rivières qui coulent à pleins bords, tous les cours d’eau de l’Éthiopie sont des torrents, et leurs bords, dans les kouallas ou basses terres, sont infestés de fièvres durant plusieurs mois de l’année. Une répartition divine, sans doute, a voulu que les deux plus grands fleuves de la fertile Éthiopie ne pussent servir qu’à entraîner ses terres et le surplus de sa fécondité, pour aller les distribuer à d’autres contrées dont ils