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DANS LA HAUTE-ÉTHIOPIE

théologiens, moines solitaires, tous accouraient à ses leçons, comme attirés par quelque sortilége ; sa parole était comme un embrasement. Lorsqu’il expliquait l’Évangile, c’était debout, et la toge ajustée, selon le cérémonial usité à l’égard d’un messager de l’Empereur. Il disait que le texte du livre étant le messager de Dieu, c’était bien le moins d’user envers lui de ces marques de respect qu’il est d’usage d’accorder au messager d’un roi de la terre. Ce qu’il avançait, il l’affirmait avec autorité. Le clergé ne pouvant le confondre s’émut d’envie, provoqua des troubles et le fit expulser. Les plus fervents de ses disciples l’accompagnèrent jusqu’à Moussawa. Là, au bord de la grande mer, ils lui dirent :

— Nous voulons aller avec toi, ô notre Père ; et qu’importe que ton navire ne puisse nous contenir tous ! Saint Tekla-Haïmanote n’a-t-il pas étendu sa melote sur les eaux, et navigué ainsi jusqu’à Jérusalem ? Nous avons foi en Dieu et en ses miracles ; prie-le pour nous, et il commandera à la mer de nous porter tout autour de ton navire.

Le Moallim se prosterna la face sur le sable, versa des larmes, resta longtemps en extase, et s’étant relevé, il dit à ses disciples :

— Non, cela ne doit pas être ; je vous laisse ici ; sans vous, les sillons se refermeraient.

Puis, il ouvrit les mains vers le ciel en disant :

— Ô Dieu, si j’ai enseigné la vérité, rends manifeste l’injustice de mes persécuteurs ; si ma bouche a propagé le mensonge ou l’erreur, que cette mer se referme sur moi, que je sois dévoré par les monstres des abîmes !

Il monta seul sur le navire, salua une dernière fois ses disciples et leur jeta cette parole :