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DANS LA HAUTE-ÉTHIOPIE

Le naïb était un vieillard frappé de paralysie et de mérycisme, au point de ne pouvoir parler que difficilement ; il vivait constamment étendu sur sa couche. Nous lui fîmes présent de quelques mètres de drap rouge, et après le café d’usage, nous nous retirâmes avec une impression défavorable. Aïdine Aga cliercha à nous rassurer et s’employa auprès de ce lieutenant nominal pour faciliter notre départ. Grâce à cet intermédiaire, le naïb se contenta d’une somme minime, car il prétendait à un droit sur tous les Européens qui passaient sur ses terres, et jusqu’alors il s’était servi de ce prétexte pour pratiquer des extorsions exorbitantes.

Cependant, des bruits d’un sinistre augure circulaient depuis quelques jours : le Dedjadj Oubié, disait-on, était devenu hostile aux missionnaires protestants : tantôt on rapportait que ces messieurs étaient enchaînés, tantôt qu’on allait renouveler à leur égard les scènes de massacre des anciens missionnaires catholiques ; on assurait que dans tous les cas, le Dedjadj Oubié ne voulait plus admettre d’Européens dans ses États. Il fut convenu que mon frère resterait à Moussawa, avec nos compagnons et les bagages, tandis que je me rendrais en Tigraïe, pour voir le Prince et demander son assentiment à notre voyage. Mais le Père Lazariste et l’Anglais insistèrent tellement pour m’accompagner, que je dus y consentir. Aïdine Aga me fit présent de sa mule : nous trouvâmes à louer deux autres montures, et munis de guides sahos, nous partîmes au coucher du soleil, pour traverser Chilliki, petit désert brûlant et sans eau, que durant presque toute l’année, les indigènes même n’osent affronter de jour. Nous étions disposés, l’Anglais et moi, à vendre chèrement notre vie ; soutenu par ce sublime désintéressement fréquent parmi les missionnaires catholiques, le