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DANS LA HAUTE-ÉTHIOPIE

soldats de fortune ; les Polémarques mirent de l’émulation à les retenir à leur service, au moyen de dignités et d’investitures annuelles, et ces seigneurs temporaires exploitent et pressurent aujourd’hui à ruine les contribuables de leurs fiefs sans avenir pour eux. La rapacité de ces tyranneaux pousse les cultivateurs à un désespoir tel, que parfois des communes entières préfèrent abandonner leurs terres et émigrer dans les États voisins. À la mort ou à la chute du Polémarque, ils reprennent leurs héritages, si le règne de son successeur est plus équitable. Ceux qui se sentent de l’énergie s’enrôlent dans les bandes de soldats, préférant à la servitude de la vie des champs, les périls et l’indépendance de la vie militaire, et dans chaque province, le camp du Polémarque regorge de soldats turbulents et avides, vivant gaîment au jour le jour, tandis que les contribuables des villes, et surtout ceux des campagnes, vivent furtivement, en proie à toutes les craintes, et réduits à ruser pour dissimuler même leur pain quotidien. La puissance des Polémarques est elle-même précaire : sujets aux retours qu’entraîne la fréquence des guerres, aux trahisons de leurs alliés, aux désertions de leurs soldats, peu d’entre eux peuvent se vanter d’avoir reçu le pouvoir de leur père, presque aucun n’est assuré de le léguer à son fils. Quelque soldat de fortune, parti quelquefois des rangs les plus humbles, recueille son héritage.

Comme on l’a vu, d’après la constitution antique, le droit de justice n’émanait pas des Atsés ; ils l’exerçaient, il est vrai, mais dans des cas définis et rares ; ils en étaient surtout les gardiens, les dépositaires. La nation exerçait ce droit elle-même : le chef de famille, la commune, les tribunaux im-