Page:A la plus belle.djvu/83

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la défunte femme de Jeannin. M. Hue tremblait son agonie depuis le matin. Quand le soir tomba, il dit au prêtre :

— « Appelez mon fils Aubry, ma fille Reine et le petit Aubry leur enfant ; appelez mon cousin Morin de Maurever, seigneur du Quesnoy, appelez Berthe sa fille ; appelez Jeannin, le brave homme… et tous, et toutes, car je vais rendre mon âme à Dieu, mon créateur. »

Ils vinrent tous. Et ils étaient beaucoup qui pleuraient, parce que Maurever avait vécu en gentilhomme et en chrétien doux aux faibles, dur aux forts. Messire Aubry et Mme  Reine lui donnèrent la main. Il me semble encore entendre la voix du vieillard lorsqu’il se leva sur son séant pour la dernière fois.

— « Mes amis, dit-il, mes serviteurs et mes enfants, voici l’heure de ma mort. Je vais prier pour vous dans un meilleur monde. Ne me regrettez pas. J’ai trop vécu.

« Aubry Ier, mon gendre et mon ami, tu me suivras de près ; Reine, ma fille, économise tes larmes : tu souffriras cruellement et longtemps sur cette terre.

« Aubry II, mon petit-fils, tu verras la Bretagne mourir… »

Pierre Gillot tressaillitcomme on fait à un choc violent.

— Si vous voulez, mon compère, fit Bruno, je n’en dirai pas davantage.

— Si fait mon frère, si fait ! mes nerfs ont cinquante ans bientôt. Ils ne me demandent plus licence pour tirailler mes membres…

— Vrai Dieu, compère, moi j’ai vingt années de plus que vous. Mes nerfs ne se tiennent que trop en repos ! Mais je continue, puisque c’est votre bon plaisir. M. Hue dit donc ceci :

« Aubry II, mon petit-fils, tu verras la Bretagne mourir ! »

Il fit un silence, pendant quoi on n’entendit que le bruit des sanglots contenus, il regardait le ciel de son lit où deux lévriers brodés soutenaient l’écusson de Bretagne. Ses yeux éteints revivaient et s’inspiraient.

« Honte à nous, reprit-il d’une voix changée ; malheur à nos enfants !

« Honte à nous, qui avons péché contre Dieu ! malheur à nos