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avait aperçu la gentille brunette à travera les carreaux de la boutique.

Madame Reine savait bien, elle, que si son fils Aubry, pâlissait ou rougissait parfois à l’improviste, Berthe de Maurever ni le soleil n’avaient rien à faire là-dedans. Elle eût donné beaucoup pour qu’il n’en fût point ainsi.

— J’ai fait bien des lieues à pied et à cheval dans notre Bretagne, reprit Jeannin, mais je n’ai vu nulle part une demoiselle qui soit plus noble et plus avenante que Berthe de Maurever. À votre âge, il est permis de chérir sa dame. Ne vous défendez point personne ne songe à vous blâmer.

Aubry fit présent d’un double coup d’éperon à son beau cheval. Le cheval piqué à l’improviste, bondit sur place, puis se lança. Ferragus et Dame-Loyse, éveillés tout à coup par ce mouvement, au milieu de leurs ébats paresseux, détalèrent à la suite du cheval. On eût dit, à voir cette course soudainement précitée, que le jeu s’était changé en furieuse bataille.

Par le fait, le choc fut rude, mais la victoire demeura encore au scélérat d’Anglais. Messire Aubry qui, sans doute, était un peu distrait par la réflexion inopportune du bon Jeannin, donna de sa lance à tour de bras dans l’épaule gauche de la quintaine, qui vira et lui rendit par derrière un coup de bâton généreux. Si généreux, qu’Aubry passa par-dessus la tête de son cheval et mordit la poussière.

Mme Reine joignit les mains ; sa voix s’arrêta dans son gosier. Jeannine laissa tomber sa broderie et poussa un cri de terreur. Derrière la haie de houx, un éclat de rire aigre se fit entendre et une voix qui n’avait rien d’humain lança joyeusement ces mots :

— Voilà messire Aubry qui s’est cassé le cou !… ah ! ah ! ah !

En même temps, parmi le vert sombre du feuillage, une figure étrange se montra presque au ras de terre.