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orateur fût venu faire l’explication d’usage. La galerie, soutenue par des tréteaux où le pitre vient d’ordinaire essayer les bagatelles de la pore, restait déserte. La baraque était close.

De toutes parts, les autres propriétaires de curiosités luttaient d’efforts ardents pour attirer la pratique. Ici, rien.

Et pourtant on savait à l’avance que le spectacle devait être superbe. L’acteur chargé du rôle de l’Ogre des Îles était un Jersiâs[1] de six pieds de haut. Le rôle de l’enfant mangé devait être rempli au contraire par le fameux nain Fier-à-Bras l’Araignoire, loué à raison de deux deniers rennais par représentation.

Pourquoi donc cette porte restait-elle fermée ? Les Bretons sont patients, c’est vrai, mais un jour de fête n’a que douze heures et chacun dans la foule s’irritait du temps perdu. Les murmures naissaient, puis s’enflaient, puis se faisaient clameurs. Les Bretons sont patients, mais ils ont mauvaise tête. On parla bientôt de mettre le tableau en pièces et de démolir la cabane. Ce projet ayant tout d’abord rencontréd’honorables sympathies, on monta sur les tréteaux et l’on cria à travers la toile :

— Rémy, bonhomme Rémy ! si tu n’ouvres pas, ta baraque va y passer !

Point de réponse. Rémy faisait la sourde oreille.

Les gars donnèrent du pied contre les poteaux de la baraque. Quand les poteaux commencèrent à branler, le bonhomme Rémy, vêtu de papier argenté, sortit, la terreur sur le visage. À sa droite parut le Jersiâs, grand homme louche, saoul et idiot, à sa gauche le nain Ficr-à-Bras.

— Pitié, mes jolis enfants ! s’écria le vieux Rémy ; vous ne savez pas tout le malheur que j’ai !

— Quel malheur as-tu, bonhomme Rémy ?

— Las ! las ! mes jolis enfants, je suis ruiné d’honneur et de finances !

L’émotion lui coupa la parole. L’assemblée lui fit hommage

  1. Jerseyen. — Jerseyais.